Carline Joseph : Première femme présidente de la CCIH

Carline Joseph, première femme à acceder à la présidence de la Chambre de commerce et d’indus- trie d’Haïti (CCIH).

Carline Joseph : Première femme présidente de la CCIH

Pour la première fois depuis plus de cent ans, une femme ac- cède à la présidence de la Chambre de commerce et d’indus- trie d’Haïti (CCIH). Une femme qui, de surcroît, vient d’une région autre que Port-au-Prince, la capitale, où se confine la grande majorité des activités économiques du pays. Carline Joseph est le nom de celle qui a pu franchir le plafond de verre.

Building Digicel, 4e étage, salle de conférence de la CCIH. Les photographies de tous ces hommes qui ont dirigé cette institution décorent les murs. Et leurs regards planent dans cet espace qui, jusqu’à très récemment, n’était qu’une véritable chambre d’hommes. Très élégante dans son superbe tailleur orange, Carline Joseph apporte à ce lieu et à cette institution une certaine lumière, un nouveau souffle et y consacre aussi une nouvelle ère.

C’est à Port-au-Prince, sa ville natale, par contre, que grandit Carline Joseph dans une famille où les valeurs avaient leur prix et leurs coûts. Très tôt, ses parents l’encouragent à s’impliquer dans les activi- tés sociales et éveillent en elle le sens des responsabilités. « Chacun de mes frères et sœurs avaient une tâche à la maison. Je me souviens, je n’avais que 6 ans, j’étais chargée d’arroser les plantes ornementales de la maison tous les matins », raconte celle qui, dès l’âge de neuf ans, chante dans la chorale et fait aussi partie des guides scouts de la jeunesse de son église.

Le parcours académique de cette grande dame débute dans une école nationale. Elle effectue son cycle secondaire au lycée des Jeunes filles. Après la terminale, elle entame deux études parallèles. Le nur- sing et le droit. Mais un an plus tard, elle part en Belgique continuer les études en sciences infirmières. Là-bas, elle épouse l’amour de sa vie qu’elle fréquentait depuis déjà 7 ans et donne naissance à son fils aîné. Trois ans plus tard, elle retourne au pays, reprend et termine ses études en droit.

Originaire des Gonaïves, son mari Énold Joseph a bien l’intention de mettre ses connaissances au service de sa ville natale. Et puisqu’en épousant quelqu’un, on épouse aussi sa cause, sa philosophie, ses amis, ses parents et tout, elle le suit. Alors, le couple s’installe aux Gonaïves. Et, au lieu de faire du 8h- 4h, les époux décident de créer leur propre entreprise. « Je n’entendais pas travailler constamment à l’extérieur de façon à pouvoir voir mes enfants grandir et participer à leur éducation. C’était cela mon schéma de vie », confie celle qui est née le 4 mai 1957. Ensemble, ils ouvrent un centre commercial qui comportait un supermarché et, un peu plus tard, une salle de cinéma, une station de radio (Radio Indépendance), un restaurant et un guest house. En 2001, le couple inaugure l’Hôpital Indépendance.

Ouverte et très sociable, Mme Joseph ne tarde pas à s’intégrer dans cette communauté qui l’a d’ailleurs bien accueillie. Au fil des ans, elle se retrouve dans presque toutes les associations de la ville, qu’elles éma- nent de l’église ou de la société civile. Pendant plusieurs années, elle a animé des émissions de radio portant sur les variétés musicales, les chansons latines, ou le protocole et la cuisine.

Enfant de la dictature duvaliériste, Carline hérite de sa famille un esprit combatif et le sens de l’engagement. Comme son père qui eut à faire la campagne de Fignolé, ou comme son frère aîné qui fit partie de la jeunesse communiste, Carline eut aussi un pied dans la politique. En 2005, elle accepta de se porter candidate à la députation pour la circonscription des Gonaïves. Même si elle ne remporte pas le scrutin, cette expérience lui fait découvrir le vrai visage des Gonaïves, à travers ses sections rurales, ses quartiers et ses lakou. Ainsi, juste après les élections, avec d’autres femmes qui l’avaient supporté durant sa campagne, elle met sur pied une association de femmes baptisée Solidarité Fanm Gonayiv.

Une femme résiliente

Face aux difficultés, elle développe des aptitudes et apprend à lut- ter pour mériter sa place. Une grande partie du secret de sa réussite réside dans sa résilience et sa persévérance en tant qu’entrepreneure.

« À deux reprises, on a presque tout perdu, mais, mon mari et moi, nous avions recommencé », confie la femme d’affaires. En effet, en 2004, le cyclone Jeanne qui frappe la ville occasionne de grandes pertes en vies humaines et en biens matériels. Les entreprises de Carline n’en sont pas épargnées. Tout est à refaire. Stoïquement, elle les remet sur pied. Mais, en 2008, le même scénario se produit avec le cyclone Hanna. Elle passe alors à un autre créneau. Et, étant donné que le couple possède déjà une usine de traitement d’eau potable à Port-au-Prince, elle décide d’en ouvrir une aux Gonaïves. C’est la Crystalline Ice and Water desti- née à la vente d’eau en bouteilles et sachets. Elle devient propriétaire d’un hôtel de 30 chambres, l’hôtel Indépendance. En mars 2015, Carline Joseph, sera nommée au sein du conseil d’administration chargé d’assurer la bonne marche de l’Hôpital La Providence des Gonaïves.

Une avant-gardiste

Carline est l’une de celles qui se retrouve toujours à l’avant-garde des projets qui doivent contribuer à rehausser l’éclat de sa ville d’adop- tion. De ce fait, en 2007, quand on a voulu mettre en place une chambre de commerce aux Gonaïves, elle se retrouve à l’avant-garde de cette initiative. Et, après les élections, devint la première vice-présidente de cette Chambre de commerce. Deux ans plus tard, elle en est élue prési- dente et y remplit mandats.

En tant que présidente de la Chambre de commerce de l’Artibonite, selon les statuts de l’époque, elle est d’office première vice-présidente de la Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti, qui n’est autre qu’un réseau de dix chambres départementales. Très efficace dans son travail, elle suscite respect et mérite. C’est ainsi qu’à la dernière assemblée de la CCIH, elle est élue à l’unanimité présidente de la CCIH.

Elle ne cache pas sa satisfaction consciente du fait que, même s’il existe de nos jours plusieurs femmes cheffes d’entreprise en Haïti, il n’y a pas encore une masse critique de femmes à pouvoir atteindre le som- met comme leurs pairs masculins. De son temps encore, une grande partie de la société haïtienne préféraient garder les filles à la maison au lieu de les envoyer à l’école comme les petits garçons. « Les femmes doivent affronter beaucoup d’obstacles pour changer la donne, renverser la vapeur lorsqu’elles veulent être plus que des ménagères et être de bonnes épouses », résume-t-elle.

« Je vois que c’est le couronnement de beaucoup d’années de sacrifices, de luttes, pour toujours avancer et ne pas rester en retrait. Cela me fait plaisir de voir que mes efforts ont été appréciés; j’ai évolué dans une com- munauté qui n’était pas mienne à l’origine, mais j’ai pu gravir les échelons jusqu’à arriver là où je suis », dit cette femme qui avoue ne pas aimer rester dans l’ombre des autres, ni même de son mari.

Derrière ce succès, il y a évidemment une grande détermination, du courage et tout un travail de développement personnel. « Ce n’est pas que j’aime les feux de la rampe, mais j’aime faire quelque chose de par moi-même. Je veux valoir quelque chose de par moi-même. D’ailleurs, je me prends très au sérieux pour commencer. » Sur ce parcours de vie, très tôt, elle a eu la chance de rencontrer des modèles et des mentors qui lui ont aidé à forger son intellect et se construire une forte personnalité.

Sur les bancs de l’école, elle y rencontre trois d’entre eux. Le pre- mier, son professeur de littérature et de sociologie, Émile Roumer, un poète de la Grand’Anse. « Il fut le premier qui nous a parlé de politique en salle de classe. Lors même qu’à cette époque, on ne pouvait pas en parler à visière levée. » Les deux autres, William Andris Et Eudes Jean-Baptiste. « Ces deux me disaient qu’il fallait rêver grand. Qu’il fallait travailler dur, parce que c’est à nous de changer le monde. » Elle éprouve une grande ad- miration pour Évens Paul, ce militant du béton, qui s’est finalement fait un nom, a su se hisser au timon des affaires de l’État. « C’est quelqu’un que je suis de très près depuis 1991 et avec qui j’ai fait une expérience politique. Un homme très déterminé qui n’a pas peur de souffrir pour faire passer ses idées. »

Outre Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, Carline a été grandement inspirée par Mirlande Manigat. « Bien qu’il existe des divergences de vue entre nous, je la considère comme une tête bien faite. C’est une femme rec- tiligne. Elle croit en ce qu’elle croit et elle y croit fermement. » Elle avoue devoir aussi une fière chandelle à Danielle Saint-Lôt. « C’est quelqu’un qui a toujours cru en moi. Je suis sûre que quand on lui présente une opportunité, je suis peut-être l’une des premières personnes à laquelle elle pense. » dira cette passionnée de lecture. Je lis des livres assez sérieux pour mon instruction. Mais, quand il s’agit de loisir, je choisis un roman. J’ai lu et relu les livres de Danielle Steel, ceux de Virginia C. Andrews.

« J’ai presque lu toute la collection Judith Michael. » Néanmoins, elle avouera : « Je ne serais pas arrivée jusque-là si je n’avais pas le soutien de ma famille. De son mari premièrement. De mes fils en particulier. Mon mari et moi avons près de trente-trois ans de mariage. Il croit énormément en moi et me pousse toujours à me dépasser. Il connaît mes limites et mes possibilités. Pour lui, je peux soulever n’importe quoi, il sait que quand je veux quelque chose, je mets assez d’énergie pour le réaliser. » Elle se connaît en couture et quand elle a un modèle en tête, elle n’hésite pas à y consacrer du temps pour le réaliser elle-même.

Décidée et énergique, même au faîte de sa carrière, il lui est encore permis de rêver à d’autres grandes réalisations. « On ne sait pas de quoi demain sera fait, mais j’ai envie d’aller encore plus loin. J’ai toujours aimé les postes électifs, à la fin de mon mandat, probablement je retournerai dans l’Artibonite me porter comme candidate au Sénat », pense cette perfectionniste.

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