Claudette A. Werleigh, première femme Premier ministre en Haïti

Claudette A. Werleigh, première femme Premier ministre en Haïti

L’histoire a retenu qu’elle fut la première femme chef de gouvernement en Haïti. Mais « notre plus grand motif de fierté et de joie dans un pays comme Haïti est qu’il y a de cela trente-sept ans, avec d’autres personnes, nous avons mis sur pied l’Institut de technologie et d’anima- tion, un institut d’éducation non formelle dédié aux adultes qui existe encore », confie Claudette Antoine Werleigh, une pionnière qui fut ministre des Affaires sociales, puis ministre des Affaires étrangères en Haïti avant de s’ouvrir à une carrière à l’international.

Qu’ai-je bien pu réaliser qui puisse motiver le choix de m’interviewer? » me demande-t-elle l’air de rien, comme si je parlais à un ano- nyme. « Sérieusement, Madame Werleigh ! », lançai-je un peu surprise. Puis, devant son regard insistant, je me rendis compte que je devais trou- ver de quoi répondre. « Mais madame Werleigh vous aviez été la première femme Premier ministre en Haïti, non ? », fis-je un tantinet incrédule.« Cela me va comme réponse », dit-elle simplement, avant de se décider à m’ouvrir un pan de sa vie.

« Mon parcours est assez dense et riche. Mais quand je me présente, je préfère dire que je suis quelqu’un qui a milité dans l’éducation des adultes et travaillé avec les populations pauvres ou marginalisées. C’est dans ce domaine que j’ai bâti mon expérience. C’est ma participation ou du moins mon travail dans le domaine social qui m’a amené en politique », se justifie-t-elle.

Originaire du Cap-Haïtien, Claudette Antoine Werleigh partage son cycle d’études primaires et secondaires entre l’école Saint-Joseph de Cluny des sœurs Anne-Marie Javoueh (sœurs bleues) et le collège Regina Assumpta des sœurs de Sainte-Croix. Ensuite elle part étudier à l’étranger. Elle passe d’abord deux années en médecine à Madrid, puis deux autres en technologie médicale. Elle commence à travailler dans le domaine médical à l’institut de physiologie de l’Université de Fri- bourg, en Suisse. Ceci pendant deux ans.

En dernier lieu, elle rentre en Haïti avec son mari Georges Wer- leigh, invité par le père Yvon Joseph, qui allait commencer une expé- rience en éducation des adultes. Très emballée par ce domaine, elle choisit de s’y spécialiser et eut l’avantage d’étudier au Mexique, au Chili, et dans d’autres pays d’Amérique latine pour apprendre l’éducation des adultes. Elle étudia aussi le droit et prêta serment comme avocate le 12 octobre 1978.

En 1975, elle devient secrétaire exécutive de Secours catholique d’Haïti. Un an plus tard, elle fait office de secrétaire générale de la Cari- tas en Haïti. Elle y restera pendant onze ans. En 1978, avec d’autres col- lègues, elle mit sur pied l’Institut de technologie et d’animation (ITecA), située à Gressier, pour accompagner et encadrer les organisations pay- sannes dans leur effort pour le changement de leurs conditions de vie.

Au cours de cette période, Claudette Werleigh fut choisie pour être responsable coordonnatrice pour la région caraïbe. Ce qui la portera à voyager énormément et marquera le début de sa carrière à l’inter- national. « À ce moment, la Caritas était présente seulement en Haïti et en République dominicaine. J’ai été celle qui a amené tous les pays de la Caraibe de langue anglaise à faire partie de Caritas International », explique-t-elle.

Les expériences en politique

Entre le 16 mars et le 24 août 1990, Claudette est ministre des Affaires sociales, sous la présidence d’Ertha Pascal Trouillot. « Je n’étais même pas au pays à cette époque, et on m’a appelée pour me proposer le poste. Pourquoi moi ? J’étais étonnée, ce n’était pas dans mes aspirations. Je n’étais pas membre de parti politique et je ne faisais pas de la politique active. » « On voulait travailler pour des élections crédibles et honnêtes, donc on voulait quelqu’un qui comprenne la sphère politique, mais qui n’allait pas prendre parti » lui fit-on comme réponse. Après avoir consul- té les membres de sa famille, ses proches et amis, elle finit par accepter.

Elle ne garda pas longtemps ce poste, mais déjà elle avait remarqué l’inadéquation de nos structures et institutions avec la réalité du pays.

« Je m’étais déjà rendu compte que les structures étatiques institutionnelles – non pas comme je les percevais, mais telles que je les vivais ou les voyais –, pour moi, n’étaient pas conçues pour répondre aux besoins de la majorité », confesse cette dame ouverte, simple et accessible.

En 1991, quand le président Aristide fut élu, le Premier ministre Préval fit appel à elle pour en faire son chef de cabinet. Elle semblait être la personne indiquée pour faire le lien entre le pouvoir, les paysans et d’autres secteurs, avec qui elle avait longtemps travaillé. Après le coup d’État, et vu les pressions, « je choisis d’aller aux États-Unis, pour être plus prête de ma famille ». Là-bas, elle devint directrice exécutive du Washington Office on Haïti.

À l’appel du président Aristide, de 1993 à 1995, elle servit comme ministre des Affaires étrangères et des Cultes des gouvernements de Robert Malval et Smarck Michel. Puis elle fut nommée Premier mi- nistre et fut donc la première femme à occuper cette fonction en Haïti de novembre 1995 à février 1996.

Elle aurait pu rester beaucoup plus, mais « au bout de quelque temps, je suis partie. Je me sens bien dans l’éducation des adultes. Ce n’est pas la politique en tant que telle ou telle qu’elle se fait en Haïti qui m’intéresse. Cette relation au pouvoir, telle qu’elle est pratiquée, ce n’est ni ce qui m’intéresse ni ma vision des choses. Et je ne crois pas que ce soit ce pouvoir-là qui va changer les choses en Haïti. Il faut un autre type de pouvoir, un autre type de relation avec la population. Il faut évidemment que les gens se sentent et soient effectivement partie prenante de ce qui se fait pour que le pays change », exhorte cette sexagénaire, qui est, depuis 1996, restée hors du terrain politique.

Une carrière au niveau international

Délaissant le champ politique, celle qui est membre fondateur de la fondation Sèvis ekimenik pou devlopman ak edikasyon popilè (SEDEP) revient au social. De concert avec d’autres femmes, dont d’anciennes ministres telles que Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, Myrtho Céles- tin, Mathilde Flambert, Marie-Thérèse Guilloteau, elle mit sur pied, en octobre 1996, l’association Lig pou vwa fanm, (Ligue pour le pou- voir aux femmes) pour partager leurs expériences et former d’autres femmes. Elle passa deux années consécutives à y travailler bénévole- ment jusqu’en 1999 où elle accepta d’entrer au service du Life & Peace Institute, à Uppsala, en Suède, institut chrétien qui supervise les re- cherches sur la résolution de conflit et les possibilités de réconciliation.

Directrice exécutive pour la transformation des conflits pendant huit ans, cette femme intelligente et appliquée put aussi servir en tant que membre du comité exécutif, puis du board de cette organisation. Après cela, on la retrouva au Pax Christi Internationale, en Belgique, comme secrétaire générale de cette grande organisation présente dans près de 160 pays à travers le monde. Ce qui implique donc qu’elle a passé ces quinze dernières années à travailler dans l’international.

Pour avoir beaucoup voyagé, elle a beaucoup vu. Cette femme, mère de deux fille – deux femmes maintenant –, a jonglé entre ses activi- tés de mère, d’épouse et de professionnelle et s’en est sortie fort bien.

« Les défis sont certes plus grands qu’il y a vingt ans, mais nous n’avons pas le choix. Le peuple doit se ressaisir, s’organiser pour faire des bonds ensemble »

« Quand elle est arrivée en politique active, j’ai dû faire retrait pour qu’elle puisse briller de tout son éclat. On dira toujours, le compagnon de Ma- dame Werleigh n’est pas connu. Mais cela se passe comme cela », confie Georges, son mari, cet homme avec un sens patriotique très poussé. « L’avancement de madame a été obtenu au prix de grands sacrifices sur le plan personnel et familial. C’est une vie qui fait souffrir les gens qui ac- compagnent ou qui la partagent. On accepte d’être frustré pour que l’autre puisse avancer », révèle le témoin privilégié des grands moments de la vie de cette dame. Le temps pour les loisirs est bien maigre. Cette passionnée d’art, de peinture, de sculpture, de théâtre, qui, d’ailleurs, a récemment été voir Kaselezo, pièce mise en scène par Paula Clermont, aime bien lire.

À l’abri des projecteurs, elle est restée cette femme qui a toujours cru que son pays, Haïti, changera pour le mieux. Et son mari de témoigner : « Sa carrière a été faite au service du peuple, au service du pays. C’est quelque chose que l’on a partagé depuis notre jeunesse et jusqu’à pré- sent. Ce que l’on a toujours eu comme prétention, c’était de changer les conditions de vie du peuple. Pour que ces gens, paysans, ouvriers, chô- meurs, puissent prendre en charge leur propre avenir. C’est à cela que se résume l’éducation des adultes. Il y a au fond de cela un attachement cer- tain au pays, parce que nous sommes partis. Nous sommes revenus. Et malgré les menaces que l’on nous a faites à notre retour, nous avons tenu quand même à maintenir la ligne. Heureusement que nous n’avons pas été mêlés à certaines dérives et que nous pouvons gardons la tête haute et recommander notre comportement à d’autres personnes qui ont des titres et pas nécessairement le caractère ou toute la ‘‘gervrine’’ qu’il faut pour être à la hauteur de leurs responsabilités » laissera-t-il aussi entendre.Malgré cette transition qui n’en finit pas, et ces crises et problèmes qui se sont multipliés, Claudette Werleigh garde quand même espoir. « Il le faut», dit-elle. Les défis sont certes plus grands qu’il y a vingt ans, « mais nous n’avons pas le choix. Le peuple doit se ressaisir, s’organiser pour faire des bonds ensemble », conclut notre hôte, visiblement désolée de la situation actuelle de sa patrie, cette terre où elle est née le 26 septembre 1946.

Le Nouvelliste | Publié le 27 novembre 2015

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