Darline Alexis, une femme-livre

Darline Alexis, une femme-livre

Darline Alexis, une femme-livre

Actuelle secrétaire générale de l’Université Quisqueya, Dar- line Alexis est aussi professeure de littérature depuis près de 22 ans. Avec un amour sans borne pour les livres, le savoir et la culture, Darline se sert de l’éducation pour s’engager en faveur des jeunes, des femmes et d’Haïti.

dort avec les livres. Comme une enfant le fait avec ses ours en peluche ou ses jouets pré-férés. Ces fidèles compagnons, Darline Alexis les retrouve avec joie au matin. « Je me réveille, je lis; règle numéro 1. Certains jours, je regarde ce que dit la presse. D’autres jours, je reprends une œuvre avec laquelle je me suis endormie. Ce pendant 30 minutes au moins », confie-t-elle. Après, elle va peut-être préparer sa fille pour l’école. Peut-être qu’elle va au sport. Mais en général, ce petit rituel est sacré. « Je n’ai aucun cours avant 10 heures. Sauf à l’Ecole normale supérieure, le mardi matin. J’ai réussi à réserver un temps de lecture quatre matins par semaine. Et je ne les négocie pas », explique avec conviction celle qui s’entiche d’œuvres classiques, celles d’auteurs de la Caraïbe anglophone, de l’Amérique du Sud avec une attention toute délicate pour les auteurs chiliens, chez qui elles trouvent un humour très particulier.

C’est un fait. Madame adore lire. Les livres, c’est même une part importante de son budget. D’autant plus qu’elle en achète sur un coup de tête. Heureusement, tous les ans, elle partage quelques-uns de ses ouvrages avec certaines bibliothèques communautaires. De sorte qu’il est aisé de comprendre qu’elle a en horreur la médiocrité. « On est dans un pays où les gens veulent se prononcer sur tout alors qu’ils n’ont pas de savoir adéquat ou ne prennent pas la peine de vérifier la documenta- tion existante. Et cela, je le supporte difficilement. Quand je ne sais pas, j’écoute », dit-elle, visiblement agacée de la paresse intellectuelle dont font preuve ceux qui ont les moyens de s’informer et de se former. Une forme de paresse qui, bien souvent, va de pair avec un « déficit d’huma- nité », pense-t-elle.

De temps à autre, Darline Alexis écrit des articles publiés en Haïti et à l’étranger sur la littérature et l’éducation. Elle prononce des confé- rences tous les ans dans des structures culturelles et fréquente les as- sociations des études haïtiennes (HSA) et caribéennes (CSA).

Le cinéma et la musique, elle aime bien aussi. Elle se réjouit d’avoir des amis – beaucoup de professeurs comme elle – très portés sur les choses de l’esprit avec qui elle peut organiser des movie night ou des soirées musique pour partager et discuter. « C’est aussi un bon exemple pour nos enfants qui évoluent dans cette ambiance-là », se réjouit-elle.

Mariée ? Non. Pourquoi ? « Je ne pense pas que ce soit un passage obli- gé, rétorque-t-elle. Pour quoi que ce soit. Ni pour aimer, ni pour faire des enfants, ni pour être en couple. ». Des enfants ? Elle en a un. Une fille de dix ans. « Bien que je m’occupe de plusieurs enfants, je n’ai mis qu’une au monde. C’est un choix. À mon avis, il faut donner un maximum de temps aux enfants. » Et c’est la raison pour laquelle elle a réduit ses heures de cours à la naissance de sa fille. « J’ai une certaine conception de l’humain. J’ai voulu être présente pour cette enfant. J’ai pris énormément de temps pour mener des activités avec ma fille. Pour lire avec elle. D’ailleurs, c’est une grande lectrice qui lit au lieu d’étudier ses leçons (éclats de rire). Je n’ai repris un rythme de travail plus intense que quand elle a eu sept ans », déclare cette éducatrice qui veut prêcher par l’exemple.

Elevée au Bel-Air et au Morne-à-Tuf (dans les parages de la place Sainte-Anne), deux quartiers populaires de la capitale, Darline Alexis a fréquenté l’école des sœurs Marie Christine, puis le collège Externat la Providence et bouclé ses études secondaires au Collège Marie-Anne durant l’année académique qui a suivi le sanglant coup d’État de 1991. En raison des luttes à l’Université d’État d’Haïti, elle débute ses études de lettres modernes à l’École normale supérieure en octobre 1993. Dès sa deuxième année, elle commence à enseigner la littérature au Collège Colimon Boisson.

Diplôme en poche, elle se spécialise en littérature d’expression fran- çaise de la Caraïbe à l’Université des Antilles-Guyane et en didactique des langues étrangères à l’Université Lumière, Lyon 2. Elle enseigne actuellement au Collège Les Oliviers, à l’École normale supérieure et à l’Université Quisqueya (UNIQ). À l’UniQ, elle occupe également la fonction de secrétaire générale depuis 2007.

En général, la professeure dispense des cours de culture générale, d’histoire des idées, de littérature et de didactique des langues. « J’ai choisi d’être enseignante. Je me sens plus utile à ce niveau-là. La cause de l’éducation est transversale à beaucoup d’autres. Elle me permet de m’enga- ger dans certaines formes de luttes sans le risque d’éparpillement qui vient avec les engagements multiples. »

Vous êtes féministe aussi, non ? « Quelle femme peut se permettre de ne pas l’être ? Je m’imagine mal être une femme, dans cette société-ci et dans ce monde-ci, sans reprendre le flambeau des luttes initiées par mes prédécesseurs. Beaucoup de jeunes femmes ignorent encore aujourd’hui que si elles peuvent fréquenter l’école, l’université, gérer leurs avoirs, voya- ger sans l’autorisation d’un père, d’un frère ou d’un mari, si elles peuvent s’exprimer librement, espérer obtenir justice pour un viol subi, contrôler leur sexualité, leur capacité de reproduction, choisir leurs conjoints, avoir droit certaines fois à un salaire correspondant à leurs compétences… elles le doivent aux revendications portées par d’autres au fil de l’Histoire », tient-elle à rappeler pour justifier son engagement.

« Les femmes doivent à chaque fois se battre pour arracher un droit. Il faut se battre pour conserver chaque droit arraché. Rien n’est acquis une fois pour toutes. L’éducation est la ligne de jonction de toutes ces luttes. Je plaide pour les femmes, pour l’éducation, j’agis à mon niveau. Je me ver- rais très mal en spectatrice de mon monde », souligne-t-elle avec convic- tion, comme si elle était à la barre. Car, même si elle n’est pas avocate, elle a néanmoins fait des études de droit.

De nature rebelle, Darline Alexis est l’une de ces femmes qui ne mâchent pas les mots et qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Elle a des idées et elle les exprime en s’appuyant sur des arguments. Fort heureusement, elle n’a pas peur de la mésentente. « En Haïti, les gens n’aiment pas cela, surtout venant d’une femme. Cela les agace. Ils vont dire que vous êtes conflictuelle. Mais ce n’est pas une préoccupation. Je sais que c’est la carte maîtresse utilisée par les gens quand ils sont dépassés pour essayer de vous faire peur et vous imposer le silence », lance-t-elle, levant un bras en l’air dans un geste de désinvolture avant de partir avec un long rire saccadé, sarcastique.

Membre actif ou proche de plusieurs associations telles que la Fondation Culture Création et Imaginescence, qui interviennent dans l’éducation artistique et culturelle, connaître son pays, sa culture, ses artistes, avoir conscience de ce qui se passe dans la région caribéenne, à l’échelle continentale et mondiale sont pour elle des choses primor- diales. Refuser toute forme d’enfermement est son credo.

Au moins, est-elle satisfaite de son rapport au monde. « Je suis heu- reuse d’avoir, au cours des ans, développé une conception de la vie qui me met en harmonie avec moi-même », soutient celle qui est née à Port-au- Prince le 17 mars 1974.

Le Nouvelliste | Publié le 2 août 2017

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