Dr Edith Dreyfuss-Hudicourt, une vie au service de la communauté

Dr Edith Dreyfuss-Hudicourt, une vie au service de la communauté

Médecin de famille, ancienne professeure d’anatomie pathologique à la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université d’État d’Haïti (FMP), le Dr Edith Dreyfuss-Hudicourt figure parmi les premières femmes médecins en Haïti. Diplômée en 1951, elle s’est consacrée à la recherche et à la publication de travaux scientifiques sur les thématiques liées au cancer et à la tuberculose et est aussi l’un des membres fondateurs de l’Hôpital de la communauté haïtienne de Frères. Portrait de celle qui a été l’une des premières à introduire en Haïti le test de Papanicolaou, ou encore Test de Pap, un examen des cellules du col utérin et qui fut décorée de l’Ordre Honneur et Mérite, grade Commandeur en 2014.

Edith Dreyfuss-Hudicourt peut, du haut de ses 96 ans, vous parler de ces temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, comme dit la chanson. Ancienne élève des sœurs de Sainte-Rose de Lima, elle entre en médecine à la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP) de l’Université d’État d’Haïti en octobre 1944. On est encore en pleine deuxième guerre mondiale et les Américains n’hésitent pas à recruter presque tous les diplômés de la FMP dès leur sortie. « Les promotions qui me précédaient s’en allaient toutes ! Parfois ils n’en restaient qu’un ou deux diplômés en Haïti. Cela explique peut-être pourquoi le gouvernement avait pris une loi qui exigeait aux jeunes médecins de donner deux ans de service à l’État. Je ne sais pas si c’est différent maintenant, mais les étudiants diplômés en Haïti se sont toujours montrés à la hauteur quand ils partaient pour l’étranger”, raconte l’anatomopathologiste qui a formé plusieurs générations de médecins haïtiens. À que ce pays a tristement changé, reconnait-on, tandis que le Dr Dreyfuss-Hudicourt égrène ses souvenirs de jeune étudiante ! 

À cette époque aussi, il n’y avait pas de concours d’admission, explique le Dr Dreyfuss-Hudicourt . Les promotions de la faculté de médecine, que les femmes ne commencent à fréquenter qu’à partir de 1934, comptaient seulement quelques étudiants. La sienne en avait un peu plus d’une vingtaine, dont deux autres filles, et c’était la première fois que cela arrivait. « Nous n’étions que trois dans ma promotion. Il y avait aussi Lucie Paultre-Sajous, interne à ce moment. Elle a été par la suite chirurgien-orthopédiste. Ce qui fait que l’on n’était que quatre femmes à la faculté cette année-là”, se rappelle le Dr Dreyfuss-Hudicourt qui est fière d’avoir marché sur les pas de pionnières telles que Yvonne Sylvain, gynécologue obstétricienne, première femme haïtienne à être médecin, diplômée de l’UEH en 1940 ou encore du Dr Yolande Thomas, la seconde femme médecin en Haïti.

Une anecdote qui montre clairement que les femmes ont attendu longtemps avant de pouvoir intégrer certains domaines ou sphères académiques en Haïti. « En ces temps-là, les familles elles-mêmes ne concevaient pas que les filles puissent s’orienter vers un “métier d’homme”. Ce qui n’est plus vrai », fait remarquer cette femme qui a vécu à ce moment historique pour les femmes haïtiennes qui n’ont obtenu le droit de vote et d’éligibilité qu’avec la constitution de 1950. Le Dreyfuss-Hudicourt fut aussi de la même promotion que les docteurs Ghislaine André-Rigaud, Rolande Scott-Jolibois. 

Lauréate de sa promotion en première année de médecine, l’intelligente dame poursuit ses cours avec assiduité et rigueur et décroche son diplôme de médecine en 1951. Jeune mère de famille mariée au docteur Georges Hudicourt en 1950, elle se spécialise en anatomie pathologie. « Au moins avec ce choix, j’avais la possibilité de ne pas passer des nuits à l’hôpital. Je pouvais réserver plus de temps pour ma famille » convient celle qui à l’époque a déjà à sa charge deux enfants en bas âge. « L’anatomie pathologique, ce n’est pas la branche la plus intéressante de la médecine. Mais elle est importante. On doit bien connaître les organes afin de pouvoir déceler quand il y a des anomalies ou détecter les maladies. C’est assez complexe. C’est vrai que les gens ne se bousculent pas pour faire des autopsies », dit d’un air amusé. “Mais moi, cela me plaisait. Je n’avais pas peur de rester debout pendant des heures au laboratoire pour effectuer les analyses”, confie celle qui a d’ailleurs enseigné cette matière pendant plus de 35 ans à la FMP. 

En 1955, elle trouve l’opportunité d’effectuer un fellowship de six mois aux Etats-Unis. Là-bas, elle travaille durant six mois au Mont Sinai Hospital et développe un intérêt particulier pour la services d’obstétrique et de gynécologie. « C’est là que pour la première fois, je me suis intéressée au pap test, le test de dépistage du cancer du col de l’utérus chez la femme », avance celle qui sera une des premières à introduire ce test en Haïti. Elle revient au pays tout de suite après cette bourse de recherches et ne repartira qu’en 1970, cette fois-ci, pour une année au Boston Hospital for Women affilié à Harvard University. Ces voyages lui permettent aussi de voir de près le fonctionnement d’un hôpital universitaire et d’appliquer les leçons apprises dans le cadre de son travail comme chef résident en anatomie pathologie à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH).

Entre ses heures de travail à l’HUEH, sa clinique privée qu’elle a gardée ouverte au-delà même de ses 80 ans et son laboratoire privé à la rue des Dalles, le Dr Edith Dreyfuss-Hudicourt mène une vie bien remplie. Mère de onze enfants, elle trouve néanmoins le temps de s’impliquer dans des activités sociales. En tant que membre de la Fondation haïtienne pour la santé et l’éducation (FHASE), elle fut un des membres fondateurs de l’Hôpital de la communauté haïtienne de Frères (HCH) en 1984. « Dr Yvonne Sylvain faisait aussi partie des nôtres. C’est elle qui avait été voir le président Jean Claude Duvalier pour que l’État, par le biais de la DGI et de Max Pénette, maire de Pétion-Ville, mette à notre disposition le terrain pour construire cet hôpital dont la mission était d’offrir à la population des soins de santé de qualité mais à peu de frais”, révèle le Dr Dreyfuss-Hudicourt. Pour elle qui a passé plus de 35 ans à travailler au sein de l’Hôpital de la communauté haïtienne de Frères (HCH), cet établissement hospitalier répondait aussi à un besoin croissant et désespéré d’amélioration des soins médicaux en Haïti. 

« Être honnête, avoir le désir d’améliorer quelque chose pour la communauté », voilà le mantra qui a toujours guidé cet universitaire, ce médecin et anatomopathologiste qui a s’est vue décerner le prix national « Femmes, Sciences et Technologie » en 2009 par l’association qui porte le même nom. Humble, courageuse, elle ne s’est pas contenté de s’occuper de sa famille mais a tendu la main vers les autres. « On ne peut valablement parler de réussite si l’on ne s’est préoccupé que de sa petite personne sans penser à contribuer au bien-être collectif », a-t-elle d’ailleurs expliqué. Ainsi, que ce soit par l’enseignement, par l’introduction du test de Papanicolaou en Haïti, par ses travaux de recherches ou par cet hôpital qu’elle a co-fondé, elle a donné l’exemple.

Décorée de l’Ordre Honneur et Mérite, grade Commandeur, par le président Michel Joseph Martelly le 7 avril 2014, pour sa grande contribution dans l’amélioration des soins de santé et la recherche médicale tant en Haïti qu’à l’étranger , le Dr Edith Dreyfuss-Hudicourt a mené une vie dont elle peut être satisfaite. Toujours aussi vive d’esprit tandis qu’elle avance vers son centenaire, elle profite paisiblement de l’affection de ses fils et filles, des enfants et arrière-petits enfants qu’elle ne compte plus. Sa plus grande fierté et sa plus grande réussite demeurent ses onze enfants, tous des professionnels de haut calibre au service de la communauté. “Je n’aime pas l’idée que tout cela va paraître dans le journal mais je ne pouvais pas refuser l’entrevue”, lance-t-elle dans un sourire en guise d’au revoir, après bien entendu, une conversation à bâtons rompus sur cette époque où les étudiants de médecine en Haïti n’avaient rien à envier à ceux d’autres grandes universités étrangères. 

Publié le 20 Janvier 2023 https://lenouvelliste.com/article/240340/dr-edith-dreyfuss-hudicourt-une-vie-au-service-de-la-communaute

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