Dans la métropole du Nord, Elvire Eugène Edmond est une de ces femmes qui viennent au secours des filles et des femmes victimes de violence. À travers AFASDA, l’association de femmes qu’elle a fondée, cette voix s’élève pour les défendre contre leurs agresseurs. Simple, humble et courageuse, pour Elvire, ce qui ensoleille une vie, c’est l’engagement envers une cause pour aider, guider, améliorer la vie des autres, surtout celle des plus vulnérables.
Quoique très répandue en Haïti, la question des violences et abus sexuels est un sujet tabou. Or, beaucoup d’enfants ou de jeunes, à peine sortis de l’adolescence, en sont fréquemment victimes. Très souvent, les auteurs sont des proches ou des préposés qui peuvent exercer sur eux une certaine influence. Que ce soit au sein de la fa- mille, de l’école, dans les églises ou les milieux professionnels, la vie des femmes et des enfants est menacée. Et il est toujours important que des voix dénoncent haut et fort ces actes barbares, que d’autres accompagnent les victimes pour qu’elles obtiennent justice et réparation. Car, souvent, ces dernières souffrent en silence, sont confrontées au mutisme de leurs parents, de leurs proches, ou sont paralysées par la peur.
Elvire aurait pu être du nombre de celles dont on a abusé. Elle est donc bien placée pour comprendre le calvaire de ces filles et femmes victimes et leur venir en aide. Depuis plus d’une décennie, cette femme au grand cœur s’est engagée à les défendre. Elvire prit naissance au Cap-Haïtien. Mais sa mère, qu’elle décrit comme une femme extraordinaire, qui a sacrifié sa vie pour son bien- être, est originaire de Dondon. C’est donc là que se passent les premières années de son enfance. Au primaire, elle est élève des sœurs de saint Joseph de Saint-Vallier à Dondon. Puis, elle se rend au Cap-Haïtien pour son cycle secondaire fréquentant, tour à tour, l’école des filles de Marie, le Centre d’études classique et le termine au lycée Marie-Jeanne à Port-au-Prince.
Après cela, elle suit des cours de secrétariat à l’Institut Pigé. Les choses n’allant pas trop bien, elle décide de chercher du boulot. « J’ai trouvé un job, mais quand je suis arrivée, le patron m’a dit qu’il est tombé amoureux de moi. Et comme je n’ai pas voulu entretenir une quelconque relation avec lui, il m’a carrément fait remplacer », avoue-t-elle sincère- ment avec cette innocence qu’elle semble avoir gardé de l’enfance. Quelque temps après, elle retourne au Cap-Haïtien. « J’ai trouvé une amie qui s’appelait Rose-Claudelle. Elle chantait vraiment bien. Et comme j’aimais faire le théâtre, elle m’a présentée à une personne pour voir si je pouvais faire un petit rôle. » On lui fait à nouveau des avances. Elvire décide alors de laisser tomber.
Un peu plus tard, elle s’en va enseigner chez les sœurs de Saint- Louis. Trois ans plus tard, elle devint professeure à l’école Externat Saint-Francois Xavier des sœurs de saint Joseph de Cluny. Elle y passe dix ans. « J’aimais les enfants, je me considérais d’ailleurs comme eux », confie, sourire aux lèvres, cette mère de famille. Contre toute attente, un jour, la sœur directrice la fait appeler et lui dit: « Elvire, pourquoi tu n’ouvres pas une école ? » D’entrée de jeu, elle est réticente et s’imagine qu’on ne veut plus d’elle. Mais elle se résout quand même à accepter cette proposition. « Les sœurs m’ont donné 6 petits bancs et d’autres petits matériels. » Avec l’aide de son mari et d’une amie, elle ouvre sa propre école, Institution Saint-Enfant Jésus, qui existe encore aujourd’hui. C’était en 1990.
Très attentive, la directrice d’école se rend compte que, certains matins, plusieurs mères ont le visage boursouflé quand elles viennent déposer leurs enfants à l’école. Elle sent qu’elle doit agir pour ces femmes qui, de toute évidence, étaient régulièrement frappées. « Je ne pouvais pas rester sans rien faire face à cette situation », se justifie la militante.
Elle prend contact avec d’autres femmes membres du mouvement scout comme elle et les incite à s’engager. Ainsi, ce petit groupe com- mence à travailler. « On allait voir les filles et les femmes qui étaient dans cette situation, et on leur proposait de les aider », explique-t-elle brièvement ajoutant avec ardeur qu’elle voulait que les femmes soient res- pectées. Après avoir milité dans une organisation de femmes et beau- coup travaillé avec Nonie Mathieu, son aînée, elle crée l’Association des femmes solèy d’Ayiti (AFASDA) en 1997. Les débuts se font avec les moyens du bord. Elle est obligée d’aménager un petit espace dans son école pour tenir les réunions de l’AFASDA.
L’organisation s’étend. Elle veut mettre sur pied un office d’assis- tance légale pour le suivi juridique et judiciaire des dossiers des femmes victimes. Les fonds manquent cruellement. Mais son dynamisme et sa ténacité ne flanchent pas. Elle organise de multiples activités pour re- cueillir de quoi financer les projets de l’organisation. « Un jour, je me rappelle qu’on a fait un petit sketch dans la rue. Il y a avait une femme qui travaillait pour l’OEA qui nous a vues. Elle m’a donné une adresse, à laquelle je devais écrire. Et, un peu plus tard, des amis à elle nous ont envoyé un peu d’argent pour nous aider. J’étais tellement heureuse. On allait pouvoir non seulement recevoir les filles, mais les accompagner au tribunal pour leurs dossiers », se rappelle Elvire.
Les difficultés arrivent, mais elle ne baisse pas les bras. Au contraire, elle s’engage davantage. D’autres femmes, des modèles et mentors, l’aident à garder la barre. « Sur mon chemin, j’ai rencontré des femmes comme Magalie Marcelin, Miriam Merlet, Anne Marie Coriolan qui ont travaillé avec moi, m’ont entraînée et qui m’ont appris plein de choses. Il y a eu aussi les femmes de la SOFA. Quand il y avait des rencontres, elles m’invitaient. Et moi j’étais toujours prête à parler, à dire ce que je pense. J’étais comme une élève, je les regardais faire, les écoutais et j’appliquais leurs conseils. »
Forte de ces sacrifices, aujourd’hui, avec cette fierté qui caractérise les Capois, elle confie: « Finalement, je peux dire que AFASDA, comme organisation de femmes est devenue une référence au Cap-Haïtien et dans le Nord. Nous travaillons beaucoup sur la thématique de la violence basée sur le genre. Et même lorsque nous n’avons pas de financement, nous ne fermons pas nos portes. Nous travaillons, nous nous positionnons », conclut cette femme, qui n’agit qu’avec le souci de servir les autres.
Les femmes de cette organisation font de la sensibilisation, orientent les victimes des cas qu’elles reçoivent vers les services appropriés, leur offrent de l’assistance légale. Il y a aussi un centre d’écoute et un centre d’hébergement : le centre d’hébergement Miriam Merlet, où sont abritées pendant un certain temps les femmes qui ont besoin d’être en sécurité et qui veulent fuir la marginalisation. « De août 2014 à juillet 2015, à AFASDA, nous avons recencé près de 444 femmes qui sont venues à nous », informe Elvire pour démontrer le travail titanesque qu’abat AFSDA qui est d’ailleurs présente dans près de six départements du pays.
Cependant, cette mission n’est pas de tout repos. Les obstacles aux- quels se heurte cette femme se heurte sont de divers ordres. Certains sont économiques, d’autres inhérents au fonctionnement du système de santé, de la justice de notre pays. « II y a la lenteur de la justice et l’impunité qui bat son plein. Très peu de juges sont vraiment sensibles aux violences faites aux enfants, aux filles et aux femmes. » Mais il y aussi les menaces des agresseurs et parfois aussi l’incompréhension des vic- times que l’on veut défendre.
« Le travail n’est pas facile », lâche-t-elle. Cependant, elle continue à y consacrer le plus clair de son temps. Heureusement, elle a un mari qui comprend son travail et qui se tient à ses côtés. Elle essaie, dans la mesure du possible, d’impliquer ses cinq enfants dans son combat et n’a de cesse de leur faire comprendre le bien-fondé de ces actions pour la vie des autres. « M santi m byen lè m ap fè travay sa a », confie-t-elle avec joie. Défendre les femmes victimes de violence, plus qu’un engagement, est devenu pour Elvire une vocation, un sacerdoce. Mais il y a longtemps que ce leader a compris que, pour donner un sens à sa vie, il faut faire un travail que l’on aime, mais aussi s’engager dans une cause en laquelle on croit et qui est profitable aux plus vulnérables. Son vécu en est le témoignage.