Fille unique parmi 8 garçons, Gerda Bien-Aimé apprend dès l’enfance à se battre pour tenir tête à ses frères et s’imposer aux petits comme aux grands. Au sein de ce foyer, son leadership se développe. Son esprit combattif et sa confiance en elle-même tout autant. « Je suis devenue une cavalière », dit-elle. Ces vertus forgées dans cette ambiance familiale seront les atouts majeurs de cette femme qui fonde en 1994 la Fédération des femmes du bas-Artibonite (FEFBA), pour défendre et accompagner les femmes et les filles victimes de violence. Portrait de cette Saint-Marcoise bourrée d’énergie, qui se bat avec l’acharnement de quelqu’un qui se croit « en mission », persuadée de l’utilité de son engagement pour le bien de la société.
Candidate au Sénat aux législatives du 9 août 2015 pour le départe- ment de l’Artibonite, Gerda Bien-Aimé enfile rencontres sur ren- contres. Entre deux meetings, nous avons la chance de rencontrer cette femme qui n’a pas froid aux yeux. Une forte corpulence, les cheveux coupés à la garçonne, un regard perçant où transparaissent autorité et assurance, agissant avec l’aisance de celle qui sait inspirer et susciter le respect.
Épouse de l’actuel bâtonnier de Saint-Marc, Me Willy Dérose, mère de deux garçons dans la vingtaine et grand-mère, Gerda est « professeure, avocate, militante de carrière au service de la communauté ». C’est primordial pour elle d’être reconnue comme telle, précisant au passage qu’elle est impliquée dans le social depuis 35 ans.
Membre fondatrice du Rassemblement des jeunes en action com- munautaire (RAJAC) à Saint-Marc -une pépinière de la FEFBA-, c’est elle qui crée, en 1983, le Collège mixte de Christ-Roi. Elle contribua aussi à mettre sur pied le Conseil national d’observation des élections en Haïti, institution couramment appelée CNO dont elle fut la coordon- natrice pendant près de dix ans.
En 1994, elle fonde la Fédération des femmes du bas-Artibonite (FEFBA), une organisation qui assure la prise en charge des enfants et des femmes victimes de viol, travaillant de concert avec la brigade de la protection des mineurs de l’Institut du bien-être social et de re- cherches (IBESR) et le ministère à la Condition féminine et aux Droits des Femmes. « Nous fournissons un accompagnement médical, légal et psychosocial aux victimes », fait-elle remarquer pour résumer le rôle as- sumé par son organisation qui possède un centre d’hébergement pour accueillir les survivants de la violence comme elle les appelle. La FEF- BA est aussi versée dans la microfinance et « actuellement, près de 150 femmes sont hébergées au centre qui est aussi doté d’une salle de forma- tion », explique Gerda avec fierté. À présent, construire un grand centre de rééducation sur ce terrain que la FEFBA a reçu en don récemment est l’un des projets qui lui importent le plus. « Après cette construction, je me dirai Gerda, tu peux prendre ta retraite, car, même après 20 ans, tu continueras à vivre à travers cette oeuvre », confie cette militante qui se targue de pouvoir compter sur un réseau de plusieurs centaines d’orga- nisations de femmes pour prendre la relève de ce combat aux côtés des femmes et des enfants.
Pourtant, son travail n’est pas de tout repos. « La question de viol a été pendant longtemps une affaire privée pour la société haïtienne. Quand on doit pointer du doigt un agresseur, ce n’est pas un bon verre de vin à boire. Convaincre les victimes de porter plainte et de vulgariser ce crime au niveau de la presse ne l’est pas non plus. » Certains la traitent de folle quand elle brandit et condamne ces cas. Mais le mépris de la société ne saurait venir à bout de son courage ni de sa détermination, des traits de caractère qui se sont affirmés chez elle dès l’enfance.
C’est au sein de la famille que se développent ses qualités de leader. Déjà, dès l’âge de six ans, la quatrième fille de la famille Bien-Aimé, originaire des lakou Bajo et Souvenance, ne se laisse pas piétiner par ses 8 frères. « C’était un combat pour faire entendre ma voix et m’imposer. J’ai combattu depuis ma plus tendre enfance pour devenir, dans ce foyer, le chef. Cela a cultivé en moi l’esprit combattif. Je suis devenue une cavalière. » Cela fait donc 51 ans de combat pour cette dame de 57 ans qui clame haut et fort qu’elle se refuse à être une femme cachée derrière un grand arbre verdoyant un homme qui voit à peine les reflets du soleil.
Son père, Ulysse Bien-Aimé, lui disait souvent : « Parmi les hommes que j’ai eus, Dieu m’a donné une reine. J’attends son succès. Ceci a renforcé l’estime que j’avais de moi-même. » Avec ses frères, elle apprend à comprendre les hommes qui veulent toujours avoir des subordonnés. Elle réalise aussi que les femmes doivent aussi travailler même dix fois plus que les hommes pour atteindre le sommet.
Elle a donc mis le paquet pour garder son piédestal. « On ne peut pas avancer sans la formation », affirme Gerda, qui débute son cycle primaire à l’école Mère Sainte-Alvire de Saint-Marc, de la congrégation de saint Joseph de Cluny. Après le brevet, elle rejoint les rangs du lycée Sténio Vincent et ensuite l’École normale Élie Dubois. En 1990-1992, elle rentre à l’École libre de droit et de notariat de Saint-Marc. Sortant lauréate de sa promotion en 1992, elle est admise en sciences juridiques à l’Ecole de droit de Saint-Marc et obtint sa licence en 1995. Boursière, elle fréquente pendant trois ans l’Université Mc-Gill à Montréal pour une formation en droits humains.
Sur le chemin de sa vie, Gerda a rencontré mentors et modèles qui lui ont permis de garder le cap. Son implication dans le social com- mence à l’initiative de Rigoberta Menchu, la Guatémaltèque qui, en 1992, a reçu le prix Nobel de la paix pour sa campagne en faveur des droits de l’homme, et plus particulièrement son soutien aux populations indigènes. « C’est une femme que j’ai côtoyée, cela fait 39 ans. Nous avions beaucoup discuté et travaillé ensemble. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup encouragée. » Elle a su bénéficier des supports et conseils avisés de Netty Jannini, du docteur Hervé Rakoto, de Danielle Saint-Lot. Les enseignements de sœur Hélène Delacroix, son premier mentor, lui ont été d’une grande utilité. « Elle me disait, Gerda, il y a quelque chose d’inné en toi. Va plus loin. Tu peux ! Et elle me montrait la voie à suivre. Elle est décédée récemment, mais c’est une femme qui est encore vivante en moi. » Actuellement, Hyvron Julné, une femme très spirituelle, est à ses côtés et lui rappelle sans cesse qu’avec la prière et l’humilité, elle atteindra le sommet.
Le 2 décembre 2014, le GRAHN-Monde a réalisé la troisième édi- tion de son programme de prix d’excellence à l’hôtel Karibe, et Gerda Bien-Aimé figurait parmi les récipiendaires de ce prix prestigieux. Membre de Mouvement eucharistique des jeunes (MEJ) dès l’âge de 6 ans, elle devint à 15 ans cheftaine du groupement. « J’étais fière de porter le foulard de chef. Et je me rappelle que j’avais l’habitude de dire, voici la future sénatrice du pays. » Même si, pendant longtemps, elle s’est tenue à l’écart de la politique active, ce rêve d’enfance est peut- être en passe d’être réalisé. « J’ai compris que si je dois sauver l’image de ce pays et m’engager de manière plus pratique pour atteindre les objectifs des femmes pour qui je milite depuis plus de 35 ans, je dois entrer en poli- tique », avance celle qui croit qu’on ne peut pas construire une démocratie sans la voix des femmes, sans la voix des plus forts.
Dynamique, optimiste, cette femme d’action, vous ne la retrouvez pratiquement jamais sur une piste de danse. Sportive et amoureuse du ballon rond, un terrain de football est son endroit de prédilection. « Pa di m bal, pa di m sinema. Di m boul. Depi w di m boul m fou », confie, dans un grand sourire, Gerda en maillot et baskets, qui se prépare d’ail- leurs à donner le coup d’envoi d’un championnat de vacances en cet après-midi du 12 juillet.