Guerda Bellevue Benjamin Alexandre, cette femme qui vient de loin !

Guerda Benjamin Alexandre, l’une des cinq femmes qui fit partie de la 49e législature.

Guerda Bellevue Benjamin Alexandre, cette femme qui vient de loin !

Dans cette société qui demande beaucoup, mais qui n’offre que très peu, les hommes, mais surtout les femmes, doivent s’échiner pour se faire une place au soleil. C’est l’histoire d’une femme qui naît dans une pauvreté extrême, à Savanette, une petite ville frontalière entre Haïti et la République dominicaine. C’est aussi l’histoire d’une femme courageuse qui a bravé difficultés, embûches, humiliations et déceptions au quotidien pour se construire une vie. C’est l’histoire de Guerda Benjamin Alexandre, l’une des cinq femmes qui fit partie de la 49e législature.

Guerda est une femme ordinaire. 45 ans, cheveux crépus coiffés en de très petites nattes, un peu d’embonpoint. Le prototype d’une mère haïtienne qui travaille dur pour faire l’éducation des enfants et gagner de quoi faire vivre sa famille. Sa tenue modeste laisse à peine croire qu’elle est député. Aucun signe extérieur de richesse ne trans- paraît quand elle arrive au rendez-vous fixé pour l’entrevue. Sans les sirènes, sans les agents de sécurité, dont s’accoutrent les potentats d’ici. Seul son mari l’accompagne. D’ailleurs, « pi gwo fòs, aprè Bondye, se mari m ! », nous apprend-elle au cours de l’entrevue. « Nous avons grandi ensemble, nous avons partagé les mêmes activités. Il aime tout ce que j’aime, et le jour où je trahirais mes convictions, il me quitterait. Et moi je l’aime très fort », explique-t-elle.

On s’étonne de sa simplicité. Après les salutations d’usage, elle s’excuse de ne pas avoir pensé à s’habiller de manière plus protocolaire, mais se reprend rapidement. « Bon, de toute manière, je suis toujours ainsi. » Le seul bijou en vue est la bague en or à son annulaire, sûre- ment son anneau de mariage. « Je ne porte pas de bijoux. Même si je suis catholique. Avant, je n’avais pas d’argent pour en acheter. L’habitude est restée », se justifie celle qui fut élevée dans des conditions très difficiles. Sans ambages, elle clame : « Je suis le symbole de la pauvreté. Je suis sor- tie de la pauvreté extrême. » Un peu plus tard, elle explicitera : « Manman m leve 5 pitit li yo ak on gode mezi, on sak farin, on chodyè lwil pou l fè marinad », énumère-t-elle. Son père, qui fut un militaire, décède alors qu’elle n’a que cinq ans.

Sa mine s’assombrit quand on lui demande son parcours acadé- mique. Un air de désolation profonde. Une tristesse à peine contenue. La vie ne lui a pas fait de cadeau. Après avoir terminé ses études pri- maires à l’école nationale Claire-Heureuse de Savanette en 1985, elle entre à Port-au-Prince chercher le pain de l’instruction, vu qu’il n’y a pas d’école secondaire dans sa localité. Mais trouver un hébergement, même chez des membres de la famille, est quasiment impossible. Dé- ceptions. Humiliations. Conditions de vie difficiles. Elle réussit néan- moins à continuer jusqu’au brevet à l’école nationale des Casernes Des- salines. Les difficultés l’acculent et elle est obligée de revenir dans son patelin. Elle s’investit dans le petit commerce que tient sa mère. Grâce au soutien de son frère Mario Benjamin, ce bon samaritain qu’elle ren- contre en 1990, elle pourra retourner à Port-au-Prince et reprendre ses études à l’Institut classique des lumières et le Collège Le Bachelier.

Une femme engagée

13 ans. À cet âge où les petites filles jouent à la poupée ou avec les copines, Guerda est déjà militante. Membre du mouvement de jeunesse de l’Église catholique, Kiro, cette enfant de la dictature est déjà happée par la dure réalité de l’époque. Dans cette association, elle fait du socio- drame. Avant la messe, elle joue dans les mimes qui portent sur les thèmes que le curé de la paroisse, le père Jean Pierre-Louis, abordera dans son homélie. Déjà, elle s’insurge aussi contre les mauvais traite- ments infligés par les militaires aux commerçants de cette petite ville frontalière et peste contre le droit de péage aux portes des marchés.

Elle se bat aussi contre les abus des macoutes et contre le régime des Duvalier. « Avèk Jezi, fòk sa va nan Savanèt. Avèk Jezi, fòk nan Savanèt sa va nèt », cette petite phrase prononcée par le père Jean-Bertrand Aristide venu prêcher à Savanette, en septembre 1988, l’électrise. Son leader- ship grandit. Ce slogan va les pousser, elle et d’autres jeunes, à former, tout de suite après, l’Association des jeunes de Savanette. Elle a alors 18 ans.

Poursuivant son engagement entre Port-au-Prince et Savanette, en juin 1990, elle est membre fondatrice du Front national pour le change- ment et la démocratie (FNCD). Quand survient le coup d’État de 1991, les militaires débarquent chez elle pour l’arrêter, mais elle a le temps de fuir. Ne la retrouvant pas sur les lieux, Sankara, son fils de 13 ans, est sévèrement battu. « Il est mort handicapé. Sans avoir plus jamais pu prononcer un mot. Il présentait un retard mental parce qu’on l’avait frappé à la tête. Il est mort malgré tous mes efforts », relate Guerda non sans une certaine douleur.

Mais le décès tragique de ce fils aîné ne mettra pas fin à son militantisme. Elle renchérit en intégrant une organisation encore plus politique que l’AJS, le Rassemblement des jeunes pour l’avancement de Sava- nette (RAJES). Elle participe à des manifestations politiques, poursuit la lutte au sein d’organisations de base dans sa région.

Le 21 mai 2000, Guerda est élue maire de Savanette sous la bannière de Fanmi Lavalas. Quoiqu’elle ne termine pas son mandat à cause de ce qu’elle appelle le « coup d’État » contre le président Aristide, elle ne partira pas en exil. Puis, elle gagne le scrutin de 2010 et devient député de la 49e législature. « C’est une 49e qui fut très difficile. Une 49e de la honte. Une 49e de déception. Car la population haïtienne méritait beaucoup plus que cela », reconnaît-elle sans détour.

Fidèle à ses convictions

Ni son mandat de maire ni celui de député ne sauront la faire oublier ses origines modestes et ses convictions. Elue député sous la bannière du Parti Ansanm nou fò, elle est demeurée tout le long de son mandat dans l’opposition face au pouvoir en place et faisait partie du bloc Parlementaires pour le renforcement des institutions (PRI). Et elle en a assumé les conséquences, le boycott qui s’en est suivi. Plusieurs fois, de hauts fonctionnaires lui ont offert argent et privilèges pour abandonner ses positions, confie-t-elle. Mais elle s’accroche à ses idées, se tenant loin du scandale. « Regardez la route qui mène à Savanette. On a voté de l’argent dans le budget pour qu’elle puisse être construite mais, comme je suis dans l’opposition, les fonds n’ont jamais été débloqués », explique-t-elle.

À la Chambre des députés elle fut membre des commissions Économie et des Finances, Commerce et Budget, Intérieur et Collectivités territoriales, Décentralisation et Développement frontalier, ainsi que Planification et Coopération externe. Certaines fois, elle s’est sentie, seule mais elle a aussi certaines satisfactions personnelles. Elle s’enorgueillit d’avoir fait le dépôt de deux propositions de loi. L’une sur le fonctionnement de l’état civil et l’autre sur l’égalité entre hommes et femmes.

Sans dire qu’elle est féministe, cette ex-parlementaire, qui a voté pour l’intégration du quota de 30% lors du vote de l’amendement de la Constitution, a une très haute opinion des femmes. Il est important qu’elles sachent qu’ « après Dieu, les femmes sont les sources de la vie ». Elles ont, d’après elle, une énergie toute naturelle qui leur permet de faire face à l’adversité. Même si elle croit que « Batay fanm nan pa gen baryè », mais, parlant de l’atmosphère au niveau du Parlement avec les quatre autres femmes qui ont siégé à la Chambre basse avec elle, Guerda dénoncera le manque de solidarité entre les élues. « Le plus grand obstacle qu’il y avait dans cette législature était que nous les, femmes, nous ne nous étions pas mises ensemble. J’étais la seule femme à être dans l’opposition. Nous n’avions pas de problèmes personnels. Mais nous n’avions pas les mêmes objectifs. Nous n’avions pas à faire les mêmes choix, vu que nous n’avions pas vécu les mêmes expériences », dit-elle pour relativiser, ajoutant néanmoins qu’elle espère les voir toutes réélire pour avoir une seconde chance de mieux travailler ensemble.

« Je crois en Dieu, je crois en l’humain »

« Beaucoup ont voulu me minimiser. Et l’une des choses que l’on me répétait sans cesse était que la fille d’une marchande de marinade ne devait pas être maire, encore moins député. » On a souvent dit aussi qu’elle était « sotte ». Mais elle ne se laisse pas atteindre par ces critiques désobligeantes sur sa personne. Imperturbable, elle riposte que l’on ne peut pas donner ce que l’on a pas mais, au contraire, assure que si une femme « sotte » peut réaliser de tels exploits, c’est qu’elle est une femme extraordinaire.

Dans la galerie de ces modèles, elle y a mis le révérend père Jean Pierre-Louis qu’elle a côtoyé dès l’enfance. Elle y a ajouté aussi Liliane Pierre-Paul. « Quand je suis rentrée à Port-au-Prince, j’aimais l’écouter. J’avais toujours rêvé d’être une journaliste comme Liliane. J’aimais sa façon de présenter les nouvelles en créole. Et quand j’ai su les péripéties qu’elle a connues dans la vie, je me suis sentie proche d’elle », dit celle qui a néanmoins suivi des cours de communication et d’informatique. Yolette Saint-Louis, une dirigeante du mouvement Kiro au sein de sa paroisse, lui a servi de mentor. « C’est grâce à l’église que je suis devenue la femme que je suis aujourd’hui », confesse celle qui dit aimer prier et aller à l’église.

Mariée et mère de deux enfants, Guerda est une artiste ratée. Elle aime énormément chanter et danser. « Je suis toujours joyeuse. Je ne m’embarrasse pas de problèmes », confie-t-elle, sur un air léger. Tenace, résistante, optimiste, disciplinée, Guerda est restée égale à elle-même face aux vicissitudes de la vie. Un véritable exploit pour cette femme que ses origines trop modestes auraient pu condamner à l’échec.

« N’oubliez jamais d’où vous venez, sinon vous n’irez nulle part », rappelle-t-elle souvent. Convaincue de cela, elle aide des dizaines de jeunes à se former en tentant de leur trouver des bourses d’études ou en investissant elle-même dans leur éducation. Une chance qu’elle n’a pas eue. « Je crois en Dieu. Je crois en l’humain. Je veux que ces jeunes se forment, qu’ils croient qu’ils peuvent être président s’ils le veulent. » Son rêve ? Transformer Savanette de telle sorte qu’on prenne cette commune pour un modèle.

Envers et contre tous, avec ses simples doigts, elle bâtit pierre par pierre sa réussite. Son esprit combattif aura porté ses fruits. Solide comme un colosse, Guerda se relance à nouveau dans la course électorale pour briguer un second mandat de député. Malgré les menaces, les pressions et même une tentative d’assassinat en mai dernier. « Je suis confiante, je serai élue dès le premier tour », répond Guerda avec assurance.

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