Josseline Colimon Féthière, 37 ans de carrière dans le système bancaire

Josseline Colimon Féthière, 37 ans de carrière dans le système bancaire

« Quand une opportunité vient, si on ne la prend pas, elle ne revient jamais », Josseline Colimon Féthière se souvient encore de ce conseil salutaire qu’un de ses patrons lui a prodigué un jour. Entre heures supplémentaires, rigueur et professionnalisme, elle a sué pour gravir les échelons dans le secteur bancaire et atteint les postes les plus élevés de la hiérarchie. 37 ans de carrière au palmarès de l’ex-directrice générale de la Promobank, ancienne ministre du Commerce et de l’Industrie et actuelle médiatrice spéciale du travail dans le secteur textile.

37 ans de carrière au palmarès de l’ex-directrice générale de la Promobank, ancienne ministre du Commerce et de l’Industrie et ancienne médiatrice spéciale du travail dans le secteur textile.

Un laptop Mac trône sur l’imposant bureau de la sexagénaire, signe de sa capacité à s’adapter non seulement aux nouvelles technologies, mais aux changements de la vie tout bonnement. Elle a dû batailler dur pour se faire une place dans le milieu financier, ouvert sur les bords mais demeure en réalité très machiste. Ce milieu où il faut entre autres avoir un caractère bien trempé, le sens du détail et être toujours prêt à affronter les adversités. Bref, un milieu où l’on ne fait pas de cadeau.

« J’ai fait toutes mes études en Haïti, et j’ai réussi », révèle-t-elle. Aînée d’une famille de huit enfants, Josseline descend d’abord d’une famille de juristes et d’avocats, originaire de l’Artibonite. Son père Dan- tès Colimon a été ministre de la Justice, bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince. Son grand-père maternel a été maire de la ville de Saint-Marc. Son aïeul paternel fut notaire à Grande-Saline et, à deux reprises, député de la circonscription de Grande-Saline/Desdunes. De ce fait, naturellement, « la politique, le service à la communauté ont tou- jours été au centre des débats chez moi », raconte l’ancien membre du Mouvement pour l’instauration de la démocratie en Haïti (MIDH).

« J’ai arrêté de jouer à la poupée très tôt », explique Josseline. Elle n’a que onze ans quand François Duvalier accède au pouvoir. Sa famille très impliquée en politique n’est pas épargnée des exactions du régime. Son père est arrêté au moins deux fois. Donc, outre le fait de devoir veiller sur les plus jeunes, elle accompagne sa mère à la prison pour apporter quotidiennement des repas à son père emprisonné, jusqu’au jour où ce dernier est transféré en dehors de Port-au-Prince. « L’angoisse fut à son paroxysme », et elle se souvient de cette période qui fut très difficile, mais qui forgea son sens des responsabilités. Les diverses associations dont elle fait aussi partie façonnent une partie de sa forte personnalité.

« J’étais croisillon, légionnaire de Marie, jéciste, guide pour m’en arrêter- là. Cela m’a appris comment bien vivre ensemble. Le dimanche, des fois ; j’allais faire des cours de catéchisme aux jeunes et aux vieux, ou faisais de l’alphabétisation pour les enfants du Bois-de-Chêne », se rappelle Josseline.

Elle achève ses études scolaires à l’Institution du Sacré-Cœur en 1965. Puis, elle décide de s’orienter vers le droit. Mais sa mère, mar- quée par les tumultes que la politique a causés dans la vie des siens, pose son veto. « J’ai trop souffert avec votre père. Je ne vais pas recommen- cer avec mes enfants », fait-elle valoir, assimilant la profession d’avocat à la politique. Elle se tourne alors vers la gestion et la comptabilité à l’École de commerce Julien Craan.

Entre elle et la banque, un véritable coup de foudre

Ayant fait le secrétariat alors qu’elle était à l’école, Josseline commence à travailler après son bac dans une compagnie d’assurances. Un jour, le messager est absent. Son patron d’alors, André Gassion, l’envoie effectuer un dépôt bancaire. C’est la première fois qu’elle pénètre dans une banque. Et, immédiatement, elle se sent attirée par cet environne- ment qui, pour elle, était mystérieux. Tout de suite, l’envie lui vient d’y travailler.

Chez elle, cet après-midi-là, elle fait part de ce désir à son père. Quand vient le concours pour le recrutement, elle y participe. Ainsi, le 23 mai 1967, elle est admise au service à la clientèle du départe- ment international de la Banque royale du Canada. « À ce moment-là, les femmes devaient lutter pour s’imposer. Par exemple, à la Banque royale du Canada, dès qu’on se mariait, on devait laisser l’institution. Et ma génération a dit : cela suffit, on va faire une carrière comme tout le monde. Nous nous sommes mariée, nous avions eu des enfants et porté des panta- lons aussi », raconte la dynamique femme.

Six ans plus tard, elle passe au service de la Banque de Boston en tant que chef de service au département étranger. Elle bénéficie de diverses sessions de formation continue tant en Haïti qu’à l’étranger. Et quand la Banque de Boston a voulu ouvrir une agence à Pétion-Ville, le directeur de la banque lui propose d’en être la directrice. Toutes les excuses sont bonnes pour trouver une échappatoire face à ce grand défi. « Je suis trop jeune, c’est trop tôt, je n’ai pas assez d’expérience », se rappelle-t-elle avoir répondu. Mais le directeur persiste : « Quand une opportunité vient, si on ne la prend pas, elle ne revient jamais. N’ayez pas peur, nous serons là pour vous encadrer », l’encourage son directeur.

Elle accepte donc de sortir de sa zone de confort et de faire le saut. C’est à ce poste qu’elle comprit « que le contact humain était le facteur le plus important de succès ». Ensuite, elle sera nommée directrice d’une autre succursale à la rue des Fronts-Forts. Elle va part la suite à Boston faire une spécialisation en crédit commercial en six mois. Elle reste 12 ans à la Banque de Boston, jusqu’à ce qu’une occasion en or se présente. Marie-Michèle Rey, avec qui elle a déjà collaboré, lui demande de la rejoindre à la Banque nationale de Paris où l’on cherchait un directeur commercial.

« Jamais je ne travaillerai avec les Français », répond-elle. Mais au fond, elle a des scrupules pour démissionner de la Banque de Boston. « Je venais de suivre une formation pour l’institution, mon père était l’avocat de la banque, je ne me voyais pas leur dire que je les quittais. J’avais perdu le sommeil. » Mais elle se souvient des paroles de sagesse qu’avait prononcées son directeur, ne jamais laisser passer une opportunité. Prenant son courage à deux mains, elle rejoint la Banque nationale de Paris à la direction commerciale. Un peu plus tard, elle est promue directrice commerciale. Et quand la Banque nationale de Paris fut reprise par des actionnaires haïtiens et devint la Promobank, elle sera la directrice générale adjointe de la nouvelle structure.

Ce coup de foudre avec le système bancaire a duré près de 37 ans. Sa carrière s’achève en 2004 avec un siège de directrice générale de la Promobank qu’elle occupait depuis 2001. « La banque, c’était ma passion. J’avais compris que, dans ce secteur, les femmes devaient travailler doublement pour se faire apprécier et respecter », avoue-t-elle sincère- ment, très fière d’avoir été au pinacle de ce secteur.

Une femme optimiste

En 1982, de concert avec Marie-Michèle Rey qui était à la BNP et Evelyne François, Josseline met sur pied le Fonds haïtien d’aide à la femme (FHAF), la première institution de microfinance pour les femmes. Elle est aussi membre fondateur d’Action pour la micro entreprise (ACME), une entreprise de microfinance dont elle est actuellement la présidente. Elle fut vice-présidente de la Chambre franco- haïtienne de commerce. « J’ai été aussi pendant longtemps trésorière de l’Institut haïtianno-américain et aussi membre du conseil d’administration de l’Université Notre-Dame. »

En novembre 2009, Josseline Colimon Féthière est nommée mi- nistre du Commerce et de l’Industrie. Malgré le tremblement de terre dévastateur, elle voyage aux États-Unis, au Canada, au Japon, en Corée du Sud, au Brésil, etc, en quête d’opportunités d’investissements pour le pays afin de créer des emplois. « C’est l’emploi qui permettra à l’être haïtien de s’épanouir », assure l’ex-ministre. Ces voyages ne furent pas vains, plusieurs entreprises coréennes sont venues s’installer en Haïti à travers la Loi Hope/Help; elle a participé à la mise en place du Parc industriel de Caracol avec la CTMO/ Hope.

En juillet 2011, l’ex-ministre ouvre JCF Conseil, sa propre firme de consultation en support aux petites et moyennes entreprises. Et depuis, elle occupe le poste d’ombudsman, bureau prévu par la loi Hope pour le maintien et l’harmonie dans ce secteur. À ce niveau, la médiatrice spéciale du travail dans le secteur textile aide ce secteur à rester transpa- rent et travaille en étroite collaboration avec le ministère du Commerce et celui des Affaires sociales. « Cela me convient à merveille. Cette fonction me permet de vivre le problème socio-historico-culturel de ce pays, de toucher du doigt la méfiance qu’il y a entre les classes sociales ici en Haïti. Tant que cela ne sera pas résolu, nous allons stagner dans ce pays. Il y a un secteur qui a peur de l’autre et un qui ne fait pas confiance à l’autre, ramener la confiance entre les gens de ce pays, c’est cela mon cheval de bataille maintenant », relate Josseline avec son franc-parler.

Madame Féthière a aussi aidé à créer Lakou Lapè, une organisation communautaire haïtienne travaillant dans le domaine de la trans- formation pacifique des conflits et de la construction de la paix. Elle est composée de différents secteurs de la vie nationale, dont des membres de la société civile, du secteur des communautés de base et du secteur privé des affaires. Mais, mises à part ces fonctions, son activité de pré- dilection se résume au temps qu’elle passe avec ses petits-enfants. Elle en a huit, quatre filles et quatre garçons. « C’est ma plus grande joie », confie-elle, heureuse. Pour elle, la famille est sacrée. « Que vous sert-il d’avoir eu une belle carrière, si vous ne réussissez pas vos enfants ? La vraie mission, c’est de réussir sa famille », conclut l’ex-femme de Jean- Marie Féthière, fière d’avoir pu guider ses enfants, avec l’aide, bien sûr, de ses beaux-parents.

Rude travailleuse, elle n’a pas peur du stress et garde toujours un moral à toute épreuve. « Quelle que soit la difficulté, et j’en ai eu pas mal…, j’attends l’éclaircie qui viendra toujours. Après la pluie vient le beau temps. » Son père a été un grand mentor pour elle. « Je n’ai jamais vu mon père, malgré ses obstacles, ses difficultés, penser qu’il ne s’en sor- tirait pas. Je ne l’ai jamais vu vouloir du mal à quelqu’un. Je l’ai toujours vu avec son chapelet en train de prier. Quand il est revenu du Fort-Di- manche, les graines de son chapelet étaient toutes aplaties tant il avait prié. Il n’avait qu’un seul objectif, sortir pour s’assurer de l’éducation de ses enfants », raconte celle qui a de l’admiration pour Marc Bazin celui qui a attiré l’attention de ce pays sur le développement économique, sur l’obligation de la transparence et de la bonne gouvernance – ainsi que ces anciennes femmes de la Ligue féminine d’action sociale qui ont lutté pour les droits civiques des femmes.

Très active sur les réseaux sociaux, Josseline affiche une grande sagesse, de l’ ouverture d’esprit et un optimisme débordant. Pour elle, tout n’est jamais perdu dans la vie, et ce qu’on croit être la fin est sou- vent la base de la prochaine réussite.

Le Nouvelliste | Publié le 1er septembre 2015

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