Magalie Noël Dresse, une femme d’affaires ingénieuse

Magalie Noël Dresse, Une femme qui rêve en couleurs et qui croit fermement que l’artisanat est l’un des secteurs por- teurs qui pourraient permettre de créer des milliers d’emplois dans le pays.

Magalie Noël Dresse, une femme d’affaires ingénieuse

Presque chaque semaine, près de deux conteneurs de 45 pieds remplis de produits artisanaux quittent les entrepôts de la Caribbean Craft à destination du marché international. À la tête de cette entreprise, on retrouve Magalie Noël Dresse, une femme brillante, pétillante d’audace, d’enthousiasme et d’énergie. Une femme qui rêve en couleurs et qui croit fermement que l’artisanat est l’un des secteurs porteurs qui pourraient permettre de créer des milliers d’emplois dans le pays.

Il est midi. La cour de la Caribbean Craft est un peu déserte. Mais, non loin de l’entrée, quelques hommes emplissent d’articles un conteneur de 45 pieds qui partira sous peu. À l’intérieur des différentes uni- tés de production, les employés, des femmes pour la plupart, réalisent à la chaîne toute une panoplie d’articles, d’accessoires de maison, et de décors muraux avec des produits (métal ou papier) recyclés. D’autres les emballent ou les apprêtent pour l’envoi. Une vraie ruche. Mieux, une véritable industrie, qui s’active sous l’œil bienveillant de la maîtresse des lieux.

« Nous ne vendons pas assez notre soleil, de même que nous ne vendons pas assez notre citadelle ou notre artisanat. Et pourtant, ces richesses naturelles pourraient être le moteur de notre développement économique », fait constater Magalie. Dans le domaine de l’artisanat, elle est bien placée pour le dire. Depuis près d’une décennie, elle dirige cette entre- prise tournée exclusivement vers l’exportation de produits artisanaux haïtiens. Au nombre de ses clients réguliers, se comptent Anthropologie, Williams Sonoma Group, West Elm, Potery Barn, Tom Shoes, Home Goods, Macy’s, VivaTerra, Wall-Mart. « Bref, il y en a tellement que je devrais vous faire parvenir la liste », dit-elle pour passer à des détails plus importants. La réputation de la Caribbean Craft n’est plus à faire. C’est peut-être la seule compagnie du genre à avoir investi dans une salle d’exposition permanente à Atlanta et à avoir participé au New York International Gift.

Difficile de rencontrer cette jeune femme d’affaires et de ne pas être frappée par son enthousiasme et sa passion pour le travail qu’elle réalise. Elle est fière de pouvoir connecter le marché international avec différents groupes d’artisans qui viennent de divers coins du pays pour, dit-elle, améliorer les conditions de vie de ces derniers. « Par exemple, nous travaillons la pierre taillée avec les artisans de Léogâne, le métal découpé avec ceux de Croix-des-Bouquets ou de Cité Soleil, la vigne avec ceux de Bainet », explique-t-elle. Puis, nous faisant visiter l’unité de production de Tom’s, elle n’oublie pas de nous signaler que, « quand la compagnie Tom Shoes a voulu travailler en Haïti, les responsables sont venus nous voir. Et c’est avec nous qu’ils ont commencé les premières opérations pour la peinture sur chaussures ». D’autres compétiteurs qui effraient ? Non. « Je ne considère pas que j’ai des compétiteurs dans le secteur de l’artisanat à l’export, le marché est bien trop grand pour le peu d’acteurs qui sont présents », dira-t-elle ouvertement.

Mais d’où vient-elle vraiment ? Magalie naît en Haïti. Toute petite, elle développe une passion pour l’artisanat. Le Collège Saint-François d’Assise, où elle a fait ses études primaires et secondaires, est situé tout près du Comité artisanal haïtien (CAH). Elle prend donc plaisir à acheter quelques articles et à emporter quelques-uns quand elle part en vacances aux États-Unis. Déjà, elle découvre l’intérêt que suscitent ces types de produits. Après une licence en génie industrielle à l’Université Quisqueya, elle part effectuer une maîtrise en marketing au New York University Stern School of Business. Parallèlement, elle travaille dans une compagnie américaine où elle développe avec eux des programmes de gestion de projets. Trois ans après son master, elle revient en Haïti.

Faire les choses autrement

La Caribbean Craft a été fondée en 1990 par des entrepreneurs belges et néerlandais pour l’exportation de l’artisanat. Mais, au départ, son approche était de vendre à des distributeurs différents qui, eux- mêmes, revendaient à des magasins. Ce qui, selon Magalie, réduisait sa marge de profit et, en conséquence, provoquait l’insatisfaction des artisans qui produisaient. Au bout d’un certain temps, les précédents actionnaires eurent à faire face à pas mal de problèmes. « Quand j’ai rejoint ce groupe, je me suis dit qu’il fallait faire les choses différemment, aller en direct au lieu de passer par des distributeurs et aussi de participer à des foires internationales pour voir comment fonctionne vraiment le marché. » Mais, en proie à trop de difficultés, les fondateurs de la compagnie préfèrent laisser tomber. C’est alors qu’elle et son mari décident de reprendre l’entreprise qu’elle a intégré en 2001 et de la transformer en Caribbean Craft que l’on connaît aujourd’hui. C’était en 2006 et tout était pratiquement à faire ou à refaire pour la compagnie.

Pour devenir ce leader sur le marché, elle a bossé durement. « Une compagnie, c’est comme un enfant. Avant que ça prenne son essor, il faut beaucoup d’investissements. Monter une compagnie, cela veut dire qu’il n’y a ni heure ni jour de congé pour travailler pendant beaucoup d’années. Et quand une compagnie grandit, toute la période de lancement et d’expansion repose sur le dos des principaux actionnaires, et cela cause un stress énorme pour un patron dans un pays comme Haïti où tout est très souvent compli- qué », explique-t-elle, avec son débit rapide, dans un français fluide.

Femme des grands défis, Magalie a su trouver sa voix. Actuelle- ment, 265 employés permanents et 250 artisans qui travaillent dans des unités indépendantes profitent de son succès en affaires. Nommée Digicel Entrepreneur de l’année, catégorie Emergent en 2010, elle a reçu du Latin Trade Bravo Business Award le prix « Innovative Social Sustainability Award » (prix innovant 2013 de la durabilité sociale) en 2013, pour sa détermination à contribuer au développement de la filière artisanale haïtienne ainsi que pour sa capacité à connecter les artisans avec les principaux marchés de consommateurs internationaux. Elle a aussi pu prendre la parole à l’ONU pour parler de la réalité des femmes d’affaires haïtiennes qui font face à un problème d’encadrement et n’ont pas accès au crédit. « Mais le plus gratifiant dans ce que je fais, c’est de voir que je contribue à un changement dans la vie de certains artisans de mon pays », dira Magalie.

Malgré son succès, elle est restée humble. Quand elle rentre dans ses différents ateliers qu’elle nous fait visiter, aucun sentiment de ma- laise, aucun regard suspect ou craintif ne transparaît. Avec une sincérité non feinte, elle les salue tous, s’enquiert de l’état d’un proche qu’elle savait malade, corrige, encourage, motive. Bref, elle accorde une délicate attention çà et là. Elle semble d’ailleurs très appréciée. Son secret ? « Un contact très serré avec chacun de mes employés. Je crois que le patron responsable doit voir, au-delà du travail qu’il offre, quels sont les accompagnements à donner à chaque employé, surtout en matière d’éducation et développement personnel. Car la qualité de vie du travailleur est très importante pour son rendement et sa quiétude d’esprit. » Grâce à elle, des cours de formation sont disponibles pour tous les membres de la compagnie qui ne savent ni lire ni écrire à côté des autres facilités qu’elle leur accorde.

Une femme d’affaires ingénieuse

L’esprit vif et l’imagination fertile, très vite, elle a compris et développé ce que toute femme doit avoir pour survivre dans ce milieu qui demeure très masculin jusqu’à présent. Beaucoup d’audace, de l’agressivité, de la perspicacité, du flair, savoir jouer la carte de la prudence sans avoir peur, garder le focus, avoir de la compétence, et surtout être sociable et soigner son réseau. « Car isolés nous ne pouvons pas grand- chose. Mon père Lyonel Noël, lui aussi, était dans le secteur des affaires. J’ai vu comment il a essayé de monter des entreprises, mais n’a pas réussi parce que, justement, c’était quelqu’un qui était isolé. Il croyait pouvoir tout faire lui-même. Les erreurs qu’il a commises, j’ai pu les éviter. » Dans son réseau, on trouvera de grandes personnalités, des gens qu’elle qualifie d’extraordinaires. On y verra sûrement Dona Karan, l’ancien président Bill Clinton, ou une femme comme Maryse Pénette Kédar. Avec cette dernière d’ailleurs, elle a fondé le Centre haïtien de leadership et d’ex- cellence (CLE) pour trouver des gens qui peuvent être des leaders, les former, les encadrer, encourager à s’engager pour ne pas perdre cette envie de se battre pour sauver le pays.

La gentille dame a aussi suivi les conseils de mentors et modèles plus avancés parmi lesquels son beau-père François Dresse. « C’est un homme de qui j’ai beaucoup appris et qui a été une des personnes à m’aider à réaliser mes rêves, à me dire que le ciel est la limite. Il m’a incitée à avoir de l’ordre, de la discipline et beaucoup de nouvelles idées. » À côté de cette ambitieuse femme se tient un mari qui fut aussi dans les affaires. « Il est mon plus grand supporteur. Nous formons une belle équipe, ce qui généralement est bien rare », dira-t-elle, consciente de la chance qu’elle a de trouver un allié auprès de son partenaire de vie. Deux filles complètent le tableau de famille. Les prunelles de ses yeux. « Avoir un succès en affaire, être célèbre n’auraient pas de sens si on n’a pas une vie de famille équilibrée », conclut-elle sagement.

Cependant, il ne faut pas croire que tout a toujours été rose pour cette cheffe d’entreprise. D’ailleurs, dans ce pays, les moindres détails sont compliqués. Elle se rappelle la première fois où elle a dû refaire toute une commande, parce que les marchandises ont été volées dans l’entrepôt de l’entreprise qui devait en assurer la livraison. Lors du tremblement de terre, en 2010, les locaux de son entreprise ont été détruits. Mais le pire dans tout cela, c’est ce conflit terrien qui l’oppose à un député depuis trois ans et qui l’empêche de rebâtir de nouvelles unités de production et de faire de nouveaux investissements.

En matière de challenge, sa vie est une assiette bien remplie. Mais son dynamisme, sa motivation et son optimisme demeurent. Elle continue en se disant tous les jours que le travail qu’elle fait en Haïti n’aurait pas le même impact si elle le faisait dans un pays développé où les services de base sont garantis. Son rêve de créer beaucoup plus d’emplois la pousse à l’action. Et avec ferveur, l’entrepreneure confiera: « Le changement d’Haïti doit venir de l’intérieur et non d’ailleurs. Et les fils du pays doivent s’impliquer. Moi, je suis au début de ma mission. Et les obstacles que j’ai eus vont disparaître. C’est un pays à construire et la Caribbean Craft est appelée à s’étendre dans tout le pays et pourra améliorer la qualité de vie des autres. »

Le Nouvelliste | Publié le 17 août 2015

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