Vêtue d’une de ses créations, Maguy Durcé nous reçoit dans son bureau à la Primature où elle fait office de conseillère spéciale du Premier ministre Évans Paul. Cette styliste aux yeux noisette, bien connue dans le milieu de la mode en Haïti, se révèle être une personne très impliquée dans le social, le culturel et la politique de son pays. Une femme de caractère qui, désormais, est à califourchon sur le cheval de la KID pour briguer la magistrature suprême de l’État aux prochaines joutes électorales.
Ancienne élève des sœurs de la Charité de Saint-Louis de Bourdon et du lycée Louis Joseph Janvier, cette Pétion-Villoise née en 1969 a grandi à Carrefour. Sitôt ses études secondaires bouclées, Maguy Durcé intègre l’École normale supérieure et en sort quatre ans plus tard avec un diplôme en lettres classiques et modernes. Elle enchaîne avec des études pour décrocher une licence en Gestion à l’Institut national d’administration, de gestion et des hautes études internatio- nales (INAGHEI). Une maîtrise en développement urbain et régional du Centre technique de planification et d’économie appliquée (CTPEA) ainsi que des formations en genre effectuées au Japon en 2001 et 2004 complètent le background de cette femme qui crie sans nuance sa foi inébranlable en Dieu.
« Je suis une femme bénie ! » Comme une ritournelle, cette petite phrase revient de temps à autre dans le discours de la quadragénaire qui raconte, avec un sourire aux lèvres et le visage resplendissant de recon- naissance, son parcours qu’elle estime être, sans modestie feinte, très intéressant. L’église, qu’elle fréquente depuis son enfance, a façonné le caractère de la fille d’Édith et Mélicel Borno Durcé. Grâce aux missions évangéliques auxquelles elle participe constamment, elle fait le tour du pays. Elle chante aussi dans différentes églises et chorales à seulement 8 ans. Ce qui lui communique l’amour de ses prochains.
Éprise des idéaux de partage et de solidarité, toute jeune, Maguy Durcé se sent concernée par les conditions de vie des personnes dé- favorisées. Elle s’engage en faveur d’un changement du niveau de vie des plus faibles. Outre les réunions de jeunesse des églises qu’elle fré- quente, sa vie associative est très riche. Dès l’âge de 20 ans, elle in- tègre un mouvement syndical, « Le Syndicaliste », qui lui insufflera son appartenance à la gauche. Dans la même période, elle devient membre fondateur de l’Union nationale des normaliens haïtiens (UNNOH) ainsi que du Corps national des enseignants d’Haïti (CONEH), deux associa- tions qui œuvrent en faveur d’une éducation de qualité, de l’amélioration des conditions de vie des enseignants et de la population haïtienne en général. Elle fit aussi partie de la Confédération des ouvriers et des travailleurs haïtiens (COTAH).
On est toujours en 1990 et la jeune universitaire est touchée par les campagnes pour l’émancipation de la femme haïtienne. Elle a eu la chance de côtoyer des figures de proue du féminisme en Haïti qui ont marqué cette époque telles que Magalie Marcelin, Myriam Mer- let, Marie-Laurence Jocelyn Lassègue, Danièle Magloire qui, pour elle, ont accompli un travail remarquable, même si elle avoue trouver que le mouvement a perdu de sa force, ces derniers temps. Celle qui croit cependant que l’homme et la femme doivent se compléter, confie que « depuis des millénaires, le monde a appartenu aux hommes. Regardez la parabole de la multiplication des pains dans la Bible, où l’on rapporte que ceux qui avaient mangé étaient environ 5000 hommes, sans compter les femmes et les enfants. C’est la preuve irréfutable que les femmes étaient des quantités négligeables. Il serait temps qu’on fasse l’expérience contraire, qu’on donne le monde aux femmes. Car il est prouvé que les femmes, qui sont douceur, amour, pardon, tempérance, force, gèrent mieux. Avec elles au pouvoir, on connaîtra la croissance … »
Pendant environ 15 ans, Maguy enseigne le français, les littératures haïtienne et française dans divers établissements scolaires, notamment à son alma mater, le collège Saint-Louis de Bourdon, au Nouveau Col- lège Bird, au lycée Toussaint, etc. En 1997, lauréate d’un concours, Ma- guy Durcé intègre le ministère de l’Éducation nationale comme chef de service de coopération externe. Depuis, la dame sillonne divers couloirs de l’administration publique haïtienne en occupant diverses fonctions.
Conseillère technique principale de la ministre de l’Éducation, Marie-Carmelle Paul Austin en 2001, elle compte parmi les membres du cabinet du Premier ministre Gérard Latortue en 2004. Forte de son expérience, elle devint porte-parole de la Konvansyon Inite Demokratik (KID) et candidate au Sénat en 2005, un an après avoir intégré ce parti.
Si elle n’est pas élue, elle n’abandonne pas pour autant le parti et la politique. De 2006 à 2008, Maguy Durcé est nommée à la tête du mi- nistère du Commerce et de l’Industrie. Ministre, elle se targue d’avoir donné la priorité à deux points importants : la protection des consom- mateurs et la promotion des investissements en mettant en œuvre le Centre de facilitation des investissements (CFI).
Poursuivant sa carrière, elle fut conseillère du président René Pré- val en investissement privé de 2008 à 2010 pour ensuite devenir direc- trice du cabinet de la première dame d’alors, Élizabeth Delatour Préval. « Ce parcours au niveau du pouvoir et de la fonction publique m’a fait comprendre tous les rouages du système public, comme je l’appelle. Et ce n’est pas évident d’arriver à aider Haïti avec un tel système. Il faut donc une rupture. Un mouvement. Une autre dynamique, de nouvelles pers- pectives », explique l’actuelle conseillère spéciale du Premier ministre Évans Paul.
Pour son poste actuel, Maguy Durcé estime qu’on ne lui a pas fait de cadeau. « Vu l’expérience que j’ai accumulée, je crois que je suis à ma place pour aider le PM à accomplir sa mission. Je m’occupe particulièrement des dossiers sociaux ayant rapport aux femmes, aux enfants, à la culture, au sport, à la santé, des domaines dans lesquels j’ai déjà fait mes preuves », avance pour expliquer celle qui en 2007 a lancé le label AYITIMOD qui comprend, outre le Haïti Fashion Week, l’atelier et les boutiques de Modayiti.
Car, il faut le dire, en Haïti et dans la Caraïbe, Maguy se passe de présentation dans ce domaine particulier où elle a mis en valeur sa créa- tivité et son talent. Elle fut lauréate de la 5e édition du concours inter- national de la mode afro-caribéenne organisé par l’association Afro.k, à Paris, en 2013. Et par cette passion qui l’a animée très tôt à cause de sa mère qui fut couturière, la fondatrice et vice-présidente du Réseau des designers haïtiens (HAND en anglais) a inspiré beaucoup de jeunes designers, notamment ses deux enfants, Maille Timothée et Jerry W. Timothée, qui étudient présentement aux États-Unis.
A la tête du Programme européen de soutien aux initiatives cultu- relles (PESIC) de l’Union européenne depuis deux ans, Maguy Durcé visite les différents départements pour donner des séances de forma- tion au profit des jeunes dans les filières de la culture, de la mode, de l’artisanat et des arts visuels. « Je travaille avec un réseau de plus de cinq cents organisations au niveau de tous les départements du pays. Je me consacre à l’épanouissement de la culture qui, pour moi, est un ciment qui peut aider à construire un capital humain pour développer le pays », assure-t-elle.
Sous son léger maquillage qui fait ressortir son charme, cette chré- tienne pentecôtiste reconvertie baptiste possède beaucoup de charme et un goût sûr. Elle semble savoir exactement ce qu’elle veut en toute situation. Avec un caractère bien trempé, elle assure : « Je n’ai pas peur des situations difficiles. Elles me servent de catalyseur pour continuer à avancer. » Elle avoue avoir le don d’amuser ses collaborateurs. « J’aime être en contact avec les gens. J’aime beaucoup rire. Je suis une humoriste. Parfois, je cherche quels humoristes avec qui je pourrais me mettre pour faire un show en duo, par exemple. J’avais même pensé à Brégard Ander- son. Mais, au bout du compte, j’ai préféré garder le côté sérieux que l’on connaît de moi au lieu de me lancer dans la voie du rire sur scène », ra- conte cette femme très courtoise et spontanée qui s’est aussi distinguée en poésie en remportant le prix René Philoctète de la poésie décerné par les Presses nationales d’Haïti pour son recueil de poèmes « Déca- lage » en 2005.
Maguy Durcé, ses modèles
Celle qui a fait fi d’une carrière de chanteuse a beaucoup d’estime pour Émeline Michel. « J’aime sa force de caractère et ce désir d’aller tou- jours plus loin qui l’anime. Cette femme de ma classe, qui chantait comme moi à l’église, est entrée en musique dans une période difficile, mais a su s’imposer tant en Haïti qu’à travers le monde en dépit de toutes les difficul- tés. J’ai beaucoup adoré son tube où elle dit ‘‘Gade papi sa pa pi mal paske vrèman lè ou ap gade sa pa pi mal !’’
L’autre femme qu’elle admire est une figure politique, Mirlande Ma- nigat. « Je le dis toujours, mon mentor, c’est Madame Mirlande Manigat. Je me rappelle quand on était candidate au Sénat en 2005, quoique l’on ne fût pas du même parti, on se considérait comme des coéquipières et non des adversaires. Comme il y avait trois postes à combler au Parlement, on se plaisait à dire que les trois sénateurs de l’Ouest seraient Maguy, Mirlande et un autre ! On s’entraidait dans la campagne. J’admire la professeure, ainsi que son amour pour la recherche. Elle a été peut-être critiquée par certaines femmes du courant féministe quand elle a refusé son siège de sénateur aux termes des élections de 2005, mais moi j’ai été frappée par sa constance et son engagement auprès de son feu mari à ce moment-là. » Il y aussi une autre femme, Naomi Prudent, qui l’inspire aussi. Cette femme pasteure qui dirige, aux États-Unis, une église aux côtés de son mari, le révérend pasteur Prudent -son père adoptif- représente pour elle cette figure religieuse, chrétienne, mais féministe dans le milieu protestant.
Maguy, la mentore d’Évans Paul
Derrière les réussites de Maguy Durcé se cache une grande figure de la politique haïtienne. Son compagnon, l’actuel Premier ministre Évans Paul. Sans ambages, elle témoigne : « Pendant ces 11 dernières années, où j’ai vécu à ses côtés dans tous les sens du terme – je le dis et je pèse mes mots –, il m’a beaucoup marquée », fait-elle remarquer avec un regard appuyé qui ne laisse pas de place au doute. « Il m’a apprise à mieux comprendre la politique et je lui dois des éclairages sur divers concepts tels que démocratie, stabilité, consensus. Avec lui, des valeurs comme le pardon et le vivre-ensemble ont pris tout leur sens. Il m’a aussi aidé à me perfectionner pour atteindre l’excellence que le pays attend de moi. Et, depuis quelque temps, mon slogan est devenu : « De la performance à l’excellence », le titre d’un livre de Jim Collins qu’il m’avait lui- même offert. C’est drôle, les prix que j’ai obtenus ont commencé à partir du moment où j’ai commencé à le côtoyer en 2004 », assure-t-elle avec une affection visible pour cet homme qui partage sa vie et qui l’a initiée à la politique.
Maguy Durcé, présidence d’Haïti ?
Certains diraient qu’ils ne l’ont pas vu venir, celle-là. Mais, dans cette période électorale, le cheval de la KID sortira de l’écurie avec en selle Maguy Durcé comme candidate à la présidence. Cette leader qui raconte que ses activités lui permettent d’être en contact avec près d’un millier d’organisations féministes à travers tout le pays. Présidente de comités de classe à l’école et au faîte de multiples associations qu’elle a fondées « j’imagine que je peux être présidente partout », lâche-t-elle. Et, poursuivant, elle explique : « En 11 ans, j’ai pu faire mes preuves au niveau de mon parti, KID (Konvansyon Inite Demokratik), et je suis une tête qui a été choisie ou qui va assurément être choisie pour représenter le parti aux joutes électorales de 2015 comme candidate à la présidence. Je vais continuer la philosophie de mon parti qui est d’arriver au développe- ment par le changement, par le social. Je veux voir une nouvelle Haïti où le peuple vivra ensemble quelles que soient la couleur des uns et des autres ou leurs origines sociales », explique-t-elle. La sécurité sociale pour tous, un changement profond dans le système éducatif, l’énergie verte font partie des armes qu’affûte la future candidate dans le cadre de son programme.
Dans un superbe ensemble rouge – sa couleur préférée –, cette touche-à-tout se sent concernée par la situation socioéconomique du pays, notamment celle des femmes et de la classe moyenne à laquelle elle s’identifie. « Il n’y a plus de mixité sociale, les classes sociales ne se rencontrent pas entre elles, sinon aux funérailles. Haïti devient comme une pâte feuilletée tant elle est stratifiée. Il y a une dynamique de classe et de couleur qui revient et un tissu social froissé et chiffonné », déplore la styliste.
Un changement, c’est ce qu’elle va proposer. Maguy Durcé est can- didate à la présidence d’Haïti et annonce déjà la couleur.