« Vingt fois sur le métier remettez, votre ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez », disait Boileau. Marie- Denise Claude l’a sûrement pris au mot. En dépit des multiples déboires qu’elle a connus, elle s’accroche à la politique. Ses échecs ne diminuent en rien son courage et sa détermination. Pour la quatrième fois, la fille de feu pasteur Sylvio Claude est candidate au Sénat pour le département de l’Ouest.
Marie-Denise peut se compter parmi une des victimes de cette intolérance politique qu’elle dénonce avec véhémence. « Je ne comprends pas qu’on puisse arrêter quelqu’un à cause de ses convictions politiques, encore moins l’assassiner », s’écrie celle qui, toute jeune, vit sa famille traquée, exilée, éparpillée aux quatre vents à cause de la dictature. Elle vit aussi son père assassiné de la manière la plus hor- rible. Elle connut également trois échecs subséquents aux dernières élections législatives, mais elle se cramponne à la politique et reven- dique la participation des femmes dans tous les espaces décisionnels du pays. D’ailleurs, dit-elle, « je crois que l’engagement des femmes aiderait à humaniser la politique en Haïti ».
Née le 15 août 1960, elle est la quatrième enfant du couple Claude. Elle fait ses études dans une petite école qui s’appelait Faustin 1er et ses études secondaires aux Collèges Frankétienne et Jean Price Mars. En 1982, en exil au Canada, elle effectue des études en sciences humaines au Collège de Saint-Laurent, étudie les sciences économiques à l’Université de Montréal, et y décroche aussi une maîtrise en sociologie de développement. À l’Université du Québec à Montréal, elle apprend les sciences politiques.
Sur demande de son père, elle retourne en Haïti en 1991. Sans le diplôme de droit que le pasteur voulait. Il exige qu’elle le fasse et la fait inscrire à la Faculté de droit de l’Université Jean Price Mars. « Même si, trois ou quatre mois plus tard, il a été assassiné, j’ai continué à faire ces études. C’était un engagement de faire cela pour lui. » Marie-Denise fait ses débuts en politique très tôt. À peine sortie de l’adolescence, elle est membre fondateur du Parti démocrate chré- tien haïtien (PDCH) créé par son père le 5 octobre 1978. « Je n’avais que 18 ans. J’étais déjà engagée. Pas avec des idées arrêtées. Pas avec des convictions fermes. Je pensais simplement que l’engagement qu’avait pris mon père en faveur des opprimés, pour le pluralisme politique et la liberté d’expression était juste », explique-t-elle non sans rappeler les péripéties par lesquelles elle est passée. « On venait vous arrêter même à l’école », confie-Marie Denise.
Opposant au régime de Jean-Claude Duvalier, Sylvio Claude est emprisonné à plusieurs reprises. Marie-Denise Claude est le seul enfant à avoir été présent quand il est arrêté pour la première fois. Un jour, alors qu’elle revient de l’école, elle passe au magasin que tenait son père au bas de la ville. « À mon arrivée, je l’ai trouvé au mur. Je n’ai rien compris. Je ne m’étais même pas rendu compte qu’il était menotté. Il m’a dit : ‘‘Tu vas dire à ta maman que ce qui est important pour nous, ce sont vos études.’’ Dis-lui de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que vous puissiez les terminer. Ce n’est que quand on est sorti avec lui et qu’on ait mis lui et un ami qui l’accompagnait dans une voiture sans plaque d’immatriculation que j’ai compris qu’on l’avait arrêté. » Alors, au lieu de rentrer chez elle, elle se rend à Radio Haïti Inter annoncer sur les ondes que son père venait de faire l’objet d’une arrestation. « C’était ma première action politique », se rappelle-t-elle.
Sylvio Claude est sauvagement assassiné dans la soirée du 29 septembre 1991 aux Cayes. « J’étais la seule fille présente en Haïti quand mon père a été assassiné. Le seul enfant à avoir vu ce qui restait du cadavre de mon père parce que j’ai dû aller l’identifier. Je me demandais ce qui peut passer dans la tête des gens pour faire cela à un compatriote. » Son engagement politique en prit un coup. « Cela m’a poussée à revoir et comprendre la réalité politique haïtienne », explique Marie Denise. Mais pourquoi demeurer dans un milieu aussi dangereux ? « Je voulais m’engager pour changer la manière dont on fait la politique en Haïti », avoue la militante.
Certains lui reprochent d’avoir porté le chapeau de plusieurs partis. Ex-secrétaire générale du PDCH, elle a été candidate au Sénat pour l’Ouest à deux reprises sous la bannière de la Fusion et une troisième fois sous celle de INITE. Cependant, elle rectifie. « En 2000, le PDCH avait des problèmes pour participer aux élections. Comme ce fut le cas pour des partis tels le MOP ou le MRN, le PDCH avait un problème de leader- ship après la disparition de mon père. Beaucoup de gens se réclamaient du parti parce qu’il avait un poids politique. Je n’aime pas les conflits, mais je voulais continuer à faire de la politique. Donc, en deux occasions, j’ai été candidate de la Fusion. » Paradoxalement, elle précise : « Je n’avais aucun statut au sein de la Fusion. Ils m’ont seulement appelée comme candidate. J’avais écrit pour demander mon intégration, malheureusement je n’ai reçu aucune réponse. »
Un peu déçue, elle saisit la perche qui lui a été tendue par le président Préval. « À ce moment, je considérais que j’étais libre. Je n’étais plus de mon parti qui est le PDCH, je voulais intégrer la Fusion des sociaux-démocrates haïtiens, mais malheureusement ils ne m’avaient pas répondu. Je me retrouvais dans la vision du président Préval qui voulait faire un grand instrument politique, qui devait regrouper les gens qui avaient travaillé pour faire 1986, – dont je faisais partie et ceux-là qui ont travaillé pour faire 1990, parce qu’il croyait que les deux devaient avoir le mérite de la patrie et devaient mettre en place cet instrument avec un plan établi sur 25 ans pour développer le pays. »
Trop beau, diraient les pessimistes. Ce rêve s’est un peu effrité. Des membres influents du projet, dont le président, ont abandonné en cours de route. Toutefois, elle et certains membres sont restés pour construire, dit-elle, un parti politique moderne. Actuellement, elle est secrétaire générale de INITE.
Militante politique, cette féministe, qui fut membre du cabinet d’une ministre à la Condition féminine et aux Droits des femmes, croit dans la participation politique des femmes qui sont peu nombreuses au sein des structures politiques. Pour créer une masse critique féminine au niveau des partis politiques, l’idée lui est venue de monter le Réseau pluriel des femmes de partis politiques (Pluri-Femme), une association haïtienne réunissant des femmes provenant de partis politiques différents pour défendre les droits des femmes dans le domaine politique. Ce réseau, qui regroupe actuellement 39 partis politiques membres, vise à renfor- cer le leadership féminin afin d’influencer les grandes décisions aussi bien au sein de leurs partis que dans les divers postes que les femmes sont appelées à occuper. Créé le 5 juin 2014, Pluri-Femme, dont Marie- Denise est la coordonnatrice générale, s’apparente à un véritable instru- ment pour asseoir l’emprise des femmes dans les espaces décisionnels.
Celle qui fut directrice générale de l’Institut du bien-être social et de recherches (IBESR), directrice de cabinet d’un ministre de l’Information et de la Culture, a aussi été coordonnatrice nationale adjointe de la Coalition haïtienne des femmes leaders (COHFEL) et présidente du Centre MD Claude pour la culture de la paix et le développement, une structure qu’elle a créée pour les femmes et les enfants en situation de vulnérabilité.
Son premier modèle et son mentor fut son père, « quelqu’un d’une grande rectitude avec une discipline extraordinaire », dont elle essaie de suivre les traces. Sur le tableau de ses modèles s’affichent Marie- Laurence Jocelyn Lassègue, Suzie Castor, Mirlande Manigat, Winnie Mandela ou Benazir Bhutto. Y apparaissent aussi sa grande sœur, Marie- France Claude. « J’ai beaucoup appris d’elle. Je l’aime et elle m’adore aus- si », confie-t-elle affectueusement, ajoutant aussi Madeleine Sylvain Bouchereau, la première femme à être élue sénateur en Haïti.
Elle a trois enfants et trois petits-enfants. Avec beaucoup de franchise, elle reconnaît que « c’est difficile pour un homme d’être marié à une femme politique qui, de surcroit, a une vie professionnelle bien rem- plie. Le plus éprouvant, c’est quand les amis lui disent : toi, tu crois que tu as une femme, toi ? Cela l’est aussi pour les femmes qui doivent jongler avec les responsabilités ainsi que toutes les barrières sociales, religieuses et culturelles ». Mais, en dépit des hauts et des bas, son mariage a survolé près de 29 ans. Elle en explique l’un des secrets. « J’étais une femme à la maison. Le dimanche, je n’avais pas de personnel de maison. Je cuisinais pour mes enfants et mon mari. J’aimais faire à manger », raconte celle qui, se targuant d’être une si bonne cuisinière, a ouvert Cœur Samba, son propre restaurant, sur les conseils de sa soeur.
Par ailleurs, cette petite-fille de pasteur adore danser. « J’avais dix- huit ans quand j’ai rencontré celui qui est devenu mon mari. Il m’a appris à danser et depuis j’aime danser », dit-elle, le rouge lui montant presque aux joues, comme si c’était la chose la plus plaisante qu’elle avait apprise à faire. Elle aime aussi lire et jardiner. Et, tous les matins, vous aller la retrouver dans son jardin. C’est là qu’elle fait sa lecture, qui se compose en grande partie des biographies de grands hommes et femmes de ce pays et du monde. L’église, elle y va de temps en temps, car, comme elle le souligne, « croire en Dieu est plus important que tout autre chose dans la vie ».
Courageuse, ambitieuse et déterminée, sa persévérance, loin de dé- ranger, devrait faire penser à l’araignée que Robert Bruce, roi d’Écosse, défait par les Anglais, caché dans une ferme délabrée, regardait l’araignée tisser sa toile. Sept fois de suite, l’insecte recommença l’œuvre sept fois détruite. Et, la huitième fois, l’araignée réussit. L’échec n’en- lève pas le mérite d’un homme ou d’une femme. Trois fois Marie-Denise Claude a déjà essayé, trois fois elle est tombée, et elle persiste pour la quatrième fois à vouloir se faire élire sénateur du département de l’Ouest.
Le Nouvelliste | Publié le 7 août 2015