Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Et si nous savons apprendre de nos échecs, nous pouvons découvrir notre vocation, grandir et réaliser des choses extraordinaires. Après un divorce bouleversant, Marie-Roberte Laurent a utilisé son énergie créatrice pour mettre sur pied sa propre entreprise, Bèlzèb, une des premières lignes de produits cosmétiques naturels en Haïti. Ni les obstacles ni les critiques n’ont pu désarçonner Marie- Roberte dans la poursuite de ses rêves. Aujourd’hui, la femme d’affaires savoure son succès et s’ouvre à de nouvelles perspectives.
Marie-Roberte Laurent quitte Haïti à quatorze ans pour s’installer aux Etats-Unis. Elle y effectue des études, se marie et y mène sa petite vie. Trente ans plus tard, son mari décide de rentrer sur leur terre natale. Elle et sa famille le suivent. On est alors en 1993. A son retour en Haïti, la diplômée en Computer Science and Business de Medgar Evers University à New York est décidée à refaire sa vie après près de 20 ans de carrière chez l’oncle Sam. Elle ouvre Mendy’s, un magasin de tissu, comme ses parents avant elle. Mais, quelques années plus tard, survient la rupture.
Le divorce est un moment pénible pour Marie Roberte. Elle essaie de trouver une bouée de sauvetage pour ne pas perdre pied. Elle ferme boutique. « J’avais besoin de m’évader. Mendy’s se résumait à acheter et vendre. Or, moi je voulais créer », explique Marie-Roberte. Au départ, elle ne sait pas exactement quoi faire. Ayant grandi dans une famille adventiste, elle a toujours été très proche de la nature. L’idée lui vint alors de créer sa propre ligne de produits naturels. Entre 1999 et 2000, Bèlzèb naît. Sa salle à manger et sa cuisine deviennent son laboratoire. Ses heures sont dédiées à la conception de ses articles. Elle commence avec trois thés basilic, ti bonm et citronnelle puis deux huiles de massage. Il y a avait aussi le miel. Certains amis ont trouvé son projet un peu fou, d’autres se sont emballés et ont voulu investir, mais peu y ont cru et sont restés à ses côtés. « Très souvent, les gens préfèrent vous regarder faire et doutent de la réussite de votre initiative », résume-t-elle sans aigreur.
« Mais Bèlzèb a tout de suite explosé », se rappelle Marie-Roberte qui ne s’est pas laissée prendre aux pièges des critiques. Même si les revenus ne sont guère suffisants, elle s’accroche à son rêve. En 2001, son entreprise grandit et, outre les thés et huiles de massage, des avons, lotions, gels de bain, lotions antimoustiques et une gamme de produits spa pour hôtels et guest houses s’ajoutent à la panoplie. Elle trouve aussi un mentor tel que Danielle Saint-Lôt qui l’encourage à continuer.
« Quand je lui ai dit que je voulais laisser tomber, elle m’a dit : reprends- toi ! Arme-toi de courage et fais en sorte que Bèlzèb marche. Je ne joue pas » confie-t-elle très reconnaissante. En 2004, elle trouve l’oppor- tunité d’ouvrir un kiosque à l’aéroport international Toussaint Louverture. Les chiffres d’affaires augmentent. Mais, parallèlement, ce hobby qui s’est transformé en métier exige des connaissances particulières. Elle retourne à l’école pour se professionnaliser et devint docteur en naturopathie après un cursus de cinq ans au Trinity School of Natural Health aux USA.
Cependant, en 2007, les choses devinrent encore plus difficiles et elle a des problèmes pour continuer à faire tourner son affaire. « Je vendais des produits qui n’étaient pas de première nécessité. Mais comme Bèlzèb était devenue un mari, un enfant, un cœur que je ne pouvais abandonner, j’ai décidai de partir vers un autre pays, où les difficultés seraient moindres, afin de pouvoir continuer à créer. » Car, comme elle le précise, les entrepreneures se heurtent à plusieurs obstacles dans ce pays. Elles n’ont pas les mêmes débouchés que les hommes. Elles n’ont pas accès au crédit, et les infrastructures de base sont inexistantes. Ici, tout est à faire. « Quand j’ai débuté, j’ai cru que je trouverais toutes mes matières premières en quantité. Le basilic. Le vétiver. Le ti bonm ou la citronnelle. Mais c’était un leurre. J’ai été obligé d’aller dans diverses localités, monter des petits groupes de femmes et leur apprendre comment produire, tout en respectant les standards de qualité, les ingrédients de base dont j’avais besoin. Ensuite, elles sont devenues mes fournisseurs. »
En 2007, elle franchit une autre étape. Elle décide de partir vers d’autres cieux. Mais partir pour aller où ? Elle envoie un mail à d’autres artisans qu’elles avaient rencontrés au cours de ses voyages lors des séminaires et expositions à l’étranger, pour leur dire qu’elle cherche un endroit où s’installer. Les propositions pleuvent. Toutefois, elle jette son dévolu sur la Grenade, un petit État insulaire de la mer des Caraïbes.
Sans plus attendre, Marie-Roberte emballe ses clics et ses clacs et emménage sur cette île. Beaucoup ont trouvé cette idée saugrenue. Pourquoi décider, un beau matin, de s’installer dans un pays, où l’on ne connaît personne ? Elle ne le savait pas non plus. Pourtant son instinct lui disait qu’elle avait raison.
Port-au-Prince demeure son point d’approvisionnement pour di- verses matières premières. Mais elle continue à produire en fonction du marché grenadien. Car là-bas, c’est l’île des épices et les clients ont un goût propre. Le succès ne tarde pas à se matérialiser. En 2008, elle trouve l’opportunité d’ouvrir un spa, Moi Spa Spiritual, dans un hôtel de luxe qui reçoit des touristes de marque. Ses produits sont très appréciés et se vendent dans toutes les pharmacies et supermarchés. D’autres petites îles adjacentes en commandent aussi. Cela fait un boom extraordinaire. « Beaucoup d’opportunités se sont offertes à moi. Beaucoup de portes se sont ouvertes pour moi », admet cette femme d’âge mûr qui a su développer plus d’une cinquantaine de produits Bèlzèb.
En 2010, elle remporte le prix Business Women of the Year décerné par la Chambre de commerce de Grenade. En 2011, elle gagne un autre concours qui lui permet de rencontrer la reine d’Angleterre. Elle a été aussi honorée par le Chambre de commerce haïtiano-américaine de Floride. Son travail a aussi été reconnu et supporté par la Caribbean Export Development Agency. Et, en 2014, elle fut l’une des gagnantes de la catégorie Industrie du concours Digicel Entrepreneur de l’année pour le département de l’Ouest.
Femme de grands défis, elle ne se conforte pas dans sa réussite. Elle se fixe de nouveaux objectifs. « Quand on a pu réussir dans un pays qui n’est pas le sien, avec des produits qu’on ne pensait même pas pouvoir faire accepter, cela vous donne une très grande confiance en vous. Comme j’ai réalisé que je n’avais plus rien à faire là-bas, plus aucun challenge, j’ai pris la décision de retourner cette année en Haïti,. M te santi ke lakay mwen ap tann mwen », fait-elle remarquer dans un sourire, ajoutant que les affaires continuent à tourner là-bas.
« C’est comme si quand je suis partie, je n’avais aucune crainte. Je n’ai regardé ni à gauche ni à droite, je me suis fixée sur l’objectif que je m’étais fixé. Les gens n’ont pas compris que j’aie pris une décision du genre. Et moi non plus d’ailleurs. Quand je pense à ce que j’ai fait, je me dis quelle audace. Mais c’était la foi. Quand on veut réellement quelque chose, on ne doit laisser aucun obstacle se mettre au travers de son chemin. Il faut se rappeler que personne, sinon Dieu, ne peut nous arrêter sur le chemin de notre réussite », confie Marie-Roberte, satisfaite de ce qu’elle a pu faire de sa vie après son divorce.
Courageuse, créative, déterminée, sa mère fut son premier modèle et l’un de ses clients les plus assidus. « Ma mère qui était atteinte de cancer utilisait beaucoup mon huile d’huître. Et à sa mort, elle m’a dit, je ne sais pas exactement d’où tu puises cette inspiration pour faire ce que tu fais, mais tu détiens quelque chose d’extraordinaire. » Elle a pu compter aussi sur le support de Denzell Philip et de lui elle dira : « Il a été pour moi comme un ange. Il m’a exhortée à faire les choses de manière plus professionnelle, à travailler sur les formulations, les bouteilles, les emballages des produits. »
Représentante régionale de la Caribbean Herbal Business Association (CHBA), elle est membre de diverses associations professionnelles. Vital Voices, la Haitian Partner Christian Development (HPCD), la Chambre de commerce haitiano-canadienne, ainsi que la Grenada Horticultural Association. Pour elle, un leader, c’est celui qui n’abandonne pas ses rêves et qui se bat pour les réaliser. Mais quelqu’un aussi qui tend aussi la main aux autres. Forte de cela, elle offre des consultations et anime des séances de formation au profit d’autres femmes à travers le pays pour les aider à s’émanciper et développer leurs entreprises. Avec environ cinq employés pour ses magasins à Port-au-Prince, son entreprise apporte des revenus à plus d’une cinquantaine de femmes aux Cayes, à Mirebalais et dans d’autres régions du pays. La plupart travaillent à leur compte, produisent les matières premières telles que les huiles de coco ou de palma christi, fabriquent des produits Belzeb, lavant, séchant et emballant du thé destiné à l’exportation à travers la Caraïbe, les États Unis, le Canada et le Royaume-Uni.
Aujourd’hui, ces amis qui étaient emballés par son projet, mais qu’elle a vu s’éclipser un a un, doivent s’en mordre les doigts. La roue a tourné pour Marie-Roberte. Bèlzèb marche bien. Elle en est heureuse. Elle a le loisir de continuer à voyager, de s’amuser avec ses cinq petits-enfants et de faire un travail qu’elle aime tellement qu’elle a l’impression de s’amuser tout le temps. Les perspectives d’avenir sont reluisantes. Prochainement, elle prévoit d’ouvrir un spa et un wellness center en Haïti. Toujours animée par cette vérité, celle de ne laisser rien ni per- sonne détruire son rêve.
Le Nouvelliste | Publié le 4 août 2015