Marie-Yolène Gilles Colas ne connaît pas la peur

Marie-Yolène Gilles Colas ne connaît pas la peur

Sans peur et sans relâche, Marie-Yolène Gilles Colas se dédie à la promotion, la protection et la défense des droits de l’homme en Haïti. Grands commis de l’État, simples quidam qui qu’ils puissent être, elle dénonce avec virulence les faits délictueux auxquels ils sont mêlés dans ses rapports. Arrestations, bastonnades, menaces ou exil n’ont pu avoir raison de la détermination de l’assistante responsable de programmes du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) en Haïti. Hier comme aujourd’hui, elle demeure convaincue « qu’il faut se battre pour les autres » et en trace l’exemple dans ses actes et ses prises de position, quel que soit le régime en place.

Il est 8 heures à peine, mais la journée a déjà commencé pour Marie-Yolène. Dans cette petite salle qui ressemble beaucoup à l’anti- chambre d’une bibliothèque et sur son bureau, s’amoncellent des livres et des documents. Des dossiers sans doute. Dans cette tenue traditionnelle beige, les cheveux noués dans un foulard du même ton, elle paraît en pleine forme. Pourtant elle est un peu soucieuse. Elle est concernée par cette situation de crise avec la République dominicaine et le climat qui entoure les prochaines élections. « Gen de moman ou santi w pran kou. » Mais ce n’est qu’une mauvaise passe. Bref, un de ces moments où le moral flanche un peu devant le constat de son impuissance à faire bouger les choses comme elle l’espère vraiment.

Mais sa passion pour ce métier qu’elle exerce reprend bien vite le dessus. « J’aime mes dossiers, j’aime faire des recherches. J’y mets toute mon âme. J’irais à pied dans le coin le plus reculé du pays, rien que pour aller chercher ou vérifier une piste », confie-t-elle, joyeuse. Malgré sa minceur et son petit physique, cette femme ôte le sommeil à bien de mauvais larrons en Haïti.

Elle a un mâle courage, celle qui est née à Port-au-Prince le 30 septembre 1960, dans une famille modeste presque monoparentale. Sa mère, qui sait à peine lire, collectionne les petits boulots et trime dur pour offrir à ses deux filles une éducation de qualité. Elle exige d’elles excellence et discipline. Son père, un militaire qui fut incarcéré à deux reprises, dont un séjour au Fort-Dimanche, célèbre geôle duvaliériste, passe de temps à autre à la maison. « Des fois, nous passions plusieurs semaines sans avoir de ses nouvelles », avoue Marie-Yolène.

Son implication dans le social commence très tôt. Dans les années 80, en classe au Collège de Port-au-Prince, elle a l’opportunité d’avoir comme professeurs de grandes figures intellectuelles, tels Pierre Bu- teau, Michel Soukar, Eddy Labossière, Albert Ambroise, Jean Robert Leroy. Les enseignements de ces derniers feront d’elle cette jeune fille concernée par les problèmes réels de la société et la porteront à militer.

Je ne connais pas la peur …

Toujours dynamique dans les clubs de jeunes, friande de lecture, Marie-Yolène fréquente diverses associations dont certaines, à l’époque, évoluent dans la clandestinité. Après le secondaire, elle commence des études de génie à l’institut supérieur technique d’Haïti, ci-devant Kay Leconte. Mais elle ne remettra pas son travail de sortie, une autre vocation l’avait longtemps happée. « Il y a longtemps que j’ai enlevé ces études de mon C.V. », ironise-t-elle, assumant que c’était un bien mauvais choix de carrière.

À cette même époque, elle est journaliste à Radio Cacique. En plein régime dictatorial, les journalistes se cachent derrière des surnoms ou noms d’emprunt pour se protéger. Dès son premier jour, elle ne sera plus Youyou comme on l’appelle dans sa famille, mais Lèlène comme la baptise son collaborateur Patrick Jean-Baptiste lui-même connu sous le nom de Haïle.

Comme elle s’y attendait, les choses ne sont guère faciles. À travers Radio Cacique, elle connaît plusieurs arrestations et l’exil en 1988 où elle part en Floride. Mais elle revient, trois mois plus tard, avec l’arrivée de Ertha Pascal Trouillot au pouvoir. On voit aussi Lèlène sur le petit écran en tant que reporter de la chaîne PVS Antenne 16. Elle y présente les actualités à vif ainsi que les nouvelles le soir. « J’ai connu tous les grands moments de l’histoire de la presse », assure Lèlène Antenne 16, comme on l’a souvent appelée.

Le jour du coup d’État du 30 septembre 1991, juste après avoir présenté son flash d’information, la radio, pour la énième fois, est bombardée par l’armée d’Haïti. « Depuis lors, je n’ai plus fait de la radio de manière officielle. Même si je suis restée proche des diverses stations de radio du pays », souligne-t-elle.

Pourtant elle n’abandonne pas. Deux ans après le coup d’État, sor- tant de sa cachette et prenant son courage à deux mains, la journaliste rentre au service d’une agence internationale, le Bureau haïtien de l’in- formation. Fin 1999, elle rejoint le staff du Réseau national de défense des droits humains en Haïti (RNDDH) et y est restée.

Être un défenseur des droits humains est une mission qui exige d’elle un effort surhumain. Il faut constamment être sur ses gardes pour ne pas se laisser prendre dans les mailles des filets des mêmes tares et infractions que l’on dénonce. L’honnêteté, l’intégrité, le courage doivent être une seconde nature. Et en tout temps, il faut afficher un comporte- ment modèle et responsable.

Mais elle n’a pas peur. « Depi m piti m pa janm pè. » Elle déambule seule dans les rues de Port-au-Prince et a toujours refusé les escortes que certains directeurs de la police lui ont offertes, compte tenu du travail périlleux qu’elle réalise. « Je n’ai pas à me cacher. Ce sont les criminels, les bandits qui doivent avoir peur. Le droit est de mon côté, dès que je dis la vérité, je n’ai pas à m’en faire », explique la militante.

Comme dans tous les métiers, Lèlène connaît des hauts et des bas. Des beaux jours et des moins bons. Le sentiment d’être passée à côté dans un dossier au moins une fois ? « Pas vraiment, non. Des fois, nous pouvons ne pas avoir tous les éléments que nous désirons, mais cela ne veut pas dire que nous passons à côté. Le fait est que nous n’avons une certaine liberté d’expression en Haïti, le droit à l’information n’est pas encore garanti. »

Consciencieusement, elle dit tout haut ce qui se passe sous des tables. « Actuellement, j’ai un dossier que je ne peux pas sortir rien que parce qu’il me manque une précision. Nous faisons notre travail avec conviction, nous n’avons pas l’intention de nuire aux autres », livre celle qui a pris comme modèle Daw Aung San Suu Kyi, une femme politique birmane, lauréate du prix Nobel de la paix en 1991. « J’ai toujours aimé voir les gens qui ont du courage et de la volonté qui vont jusqu’à la victoire finale », précise madame Colas.

Je dois parler pour ceux qui ne le peuvent pas

Lèlène est attachée aux acquis démocratiques. La liberté d’expression entre autres. « Si je ne trouve pas un micro pour parler, je m’en irai sous un arbre rassembler d’autres personnes, et faire comme un focus group. Je dois parler pour ceux qui ne le peuvent pas », laisse-t-elle en- tendre fermement, ajoutant au passage qu’elle se bat pour les autres, même lorsque ces derniers ne comprennent pas. « Les arrestations, l’exil ne me disent rien. Mes plus mauvais souvenirs demeurent l’hypocrisie et l’incompréhension des gens autour de moi. Heureusement qu’il y a d’autres qui admirent et respectent le travail que je fais. » Le soutien de ces gens, comme celui de sa famille, est un doux réconfort pour cette femme qui désespère de voir une Haïti où tous peuvent vivre bien.

Mais cette lutte irascible contre la corruption et les violations des droits de l’homme n’a point fait d’elle pour autant une femme amère ni pessimiste. Elle est restée une femme dans le plein sens du terme qui prend à cœur son rôle de mère et d’épouse. D’ailleurs, « ils pensent toujours que je fais ce que je fais parce que je n’ai pas d’enfants. Et pourtant j’ai un fils de 19 ans », s’offusque-t-elle, nous promettant de nous montrer une photo d’elle pendant sa période de grossesse. Les journées de cette femme commencent très tôt, cinq heures du matin. Des fois, elles s’étirent jusque dans la soirée.

Elle trouve le temps pour se détendre et prendre soin de son mari et de son fils. « J’ai des passe-temps qui pourraient bien surprendre. J’aime m’occuper de ma maison ainsi que cuisiner. D’ailleurs, beaucoup de gens aiment ma cuisine. » Certains jours, elle et son fils s’adonnent à ses jeux de prédilection: osselets, kay, pench, des jeux traditionnels. De temps à autre, elle conçoit des œuvres en crochet. « Mais dommage que je n’aie pas encore compilé autant de pièces que je voudrais afin de pouvoir faire cette exposition que je souhaite avec les femmes de la prison de Pétion- Ville ! », explique Lèlène. Elle lit. Et dès que possible, ils s’offrent une escapade à la plage.

Elle a gardé les séquelles de ses passages en prison. « Je suis claustrophobe. Et vous ne me verrez jamais debout derrière une porte ou une fenêtre en fer forgé et en tenir les barreaux. Je ne peux pas. Cela me rappelle les cellules de prison. » Mais, stoïquement, Marie-Yolène Gilles traverse le temps et assume son rôle de défenseur des droits de l’homme avec une détermination farouche et une rigueur admirable. De nombreuses institutions ont salué son travail émérite, dont l’ambassade américaine, avec le prix « Femme de courage » en 2012 et plus récemment le prix Roc Cadet de SOS Liberté.

Le Nouvelliste | Publié le 20 juillet 2015

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