Maryse Narcisse est un de ces leaders qui ont émergé après le départ du président Jean-Bertrand Aristide en 2004. En- vers et contre tous, elle affirme son engagement à Fanmi Lavalas, et, sans répit, elle a tenu la mobilisation qui aboutira au retour de son chef. Même si, comme elle le souligne, « certains la croient sortie de la cuisse de Jupiter ou de nulle part », cette femme à une histoire. Une histoire qu’elle nous a racontée.
Son visage se pare d’un sourire qui se veut convivial et courtois sur les bords. Mais madame est prudente comme tout. Le genre qui préfère nous recevoir au siège même du parti plutôt qu’ailleurs pour ne pas prêter le flanc à des mésinterprétations. Elle soigne son apparence, préserve sa réputation. Même si elle aime parler, elle pèse ses mots. Son discours est ponctué de propos mûrement réfléchis, d’hésitations ou de silences. On la comprend. À l’approche des élections, ce n’est vraiment pas le moment de glisser sur une pelure de banane. Car, en politique, les occasions de chute foisonnent. La conversation est aussi saupoudrée de piques contre l’actuel CEP et les élections organisées le 9 août dernier. Les mobilisations pour l’annulation du scrutin. La mauvaise gestion du pouvoir en place. L’absence d’infrastructures dans le pays. Bref, un peu de tout et de rien. Il n’y a rien à y faire, c’est une femme tenace, qui ne se lasse pas de poursuivre ou de défendre ses objectifs.
Beaucoup rêvaient d’être choisis comme candidat à la présidence pour Fanmi Lavalas, mais c’est finalement elle qui l’emporte. Celle qui a la bénédiction du père est née à Pétion-Ville en 1958. Sa mère est une institutrice et son père juge spécialisé dans la délinquance juvénile. Elle effectue ses classes primaires chez les sœurs de St-Etienne et le second cycle chez les sœurs de Sainte-Rose de Lima.
Ses aïeuls du côté paternel étaient des hommes de loi, son père souhaite donc qu’elle fasse le droit. Mais, marquée par les activités sociales auxquelles elle prenait part à l’école, la petite Maryse, qui n’a alors que 17 ans, entre en médecine à la Faculté de médecine de l’UEH et choisit de faire le droit à la Faculté de droit et des sciences économiques comme étudiant libre. « Je voulais devenir médecin légiste », avoue-t-elle. Les études de médecine étant tellement exigeantes, elle abandonne le droit après la première année pour s’y consacrer entièrement. Sa fa- mille respecte son choix.
On peut mettre en doute son charisme en politique, mais non ses connaissances dans la branche dans laquelle elle détient une maîtrise en santé publique de Tulane University aux États-Unis. Après avoir effectué son service social à Camp-Perrin, elle commence à travailler dans des zones rurales, où les infrastructures de base n’existent pas et où la santé est un véritable luxe. Lachapelle, Verrettes, Desarmes, Goyavier à Saint-Marc, etc. Elle fut successivement coordonnatrice nationale du Programme élargi de vaccination, directrice de la direction de l’Éducation et de développement des ressources humaines et directrice générale du ministère de la Santé publique et de la Population. Puis elle sera nommée ministre conseiller à la Mission permanente d’Haïti auprès des Nations unies. Maryse Narcisse a aussi été membre du cabinet particulier du président Jean-Bertrand Aristide en charge de questions sociales et des dossiers de santé publique. Elle a participé à de nombreuses conférences internationales où elle a présenté des sujets comme la vaccination, la prévention du sida et des maladies sexuellement transmissibles. N’étaient ses activités politiques, la dame aurait déjà terminé ses études doctorales en santé publique, option épidémiologie.
La politique, elle entend en parler au sein même de la famille. Mais à la Faculté de médecine, membre du comité, elle participe à des actions de résistance à l’encontre du régime des Duvalier. Comme beaucoup à l’époque, elle assiste à la messe à l’église St-Jean Bosco. « J’ai rencontré Jean-Bertrand Aristide vers 1980. » Et, en 1996, quand Fanmi Lavalas a été fondée, elle devient membre du parti. « Mais je dois dire que j’étais lavalas bien avant la création de l’organisation. Parce que, très jeune, la vision de ‘‘tout moun se moun’’, la conviction que chaque Haïtien doit avoir les mêmes opportunités était déjà ancrée chez moi. »
On ne connait pas grand-chose d’elle. Sinon qu’elle est lavalas. La sympathisante de toujours, l’adhérente depuis presque une vingtaine d’années à Fanmi Lavalas. Mais c’est après 2004 qu’elle émerge. « Avec d’autres membres, j’ai pris les rênes de l’organisation. Nous avons pris les rênes, corrige-t-elle, parce que, seule, je ne pourrais pas tout faire. » Elle rejoint d’abord la commission de communication du parti. « Nous avons fait beaucoup de mobilisation pour le retour du président Aristide. J’ai passé un court moment à l’étranger, mais je suis revenue pour lutter. »
La plupart de ses amis, des gens de son entourage, ne comprennent pas forcément son acharnement à défendre cette organisation politique. Être Lavalas est sûrement un combat au quotidien. « J’étais là à un moment difficile, un moment où c’était la chasse à Lavalas. C’était accep- ter d’être vu comme une pestiférée. Car les gens ne toléraient pas Lavalas. Il y a eu comme une campagne pour ‘‘démouniser’’ Fanmi Lavalas. Pour eux, Lavalas rimait avec vagabond ou criminel. Or ce n’était pas cela. »
C’était donc important de combattre. Tenir la barque pendant sept ans, cela n’a pas été facile. « Quand on mène une bataille, il y a des hauts et des bas. On n’en connaît pas forcément l’issue ni les retombées. Mais je savais que si la mobilisation n’était pas maintenue, le président ne retour- nerait pas. Certains jours, même la presse disait ‘‘Genlè doktè sa pa byen nan tèt li’’. Personne ne croyait au retour du président. Et même quand j’ai annoncé le retour le vendredi 18, personne ne voulait le croire. »
Elle a aussi souffert personnellement. « J’ai connu des moments dif- ficiles. J’ai été kidnappée en 2007, et ce n’était pas facile… (long soupir). Certaines fois, on n’avait pas la compréhension des amis de la famille. Mais ce que j’ai toujours eu, je pense, c’est le support et l’amour des orga- nisations de base de Fanmi Lavalas. » Mais sa détermination et son entêtement n’ont pas tarder à porter leurs fruits. « Nous avons tenu Fanmi Lavalas vivante malgré toutes les difficultés et les obstacles auxquels on a eu à faire face », confie-t-elle
Être une femme dans un parti politique n’est pas toujours facile. Il fallait s’imposer dès le départ. Mais la coordonnatrice nationale du co- mité exécutif du parti a trouvé une recette qui marche. « Nous sommes une grande organisation, et les différentes tendances doivent pouvoir s’exprimer et participer dans les débats. Il faut aussi être à l’écoute des autres membres. » Elle a eu et a encore une bonne communication avec l’ex- président Aristide, son mentor. « J’ai appris de lui cette capacité d’écouter avant de prendre une décision. Cette façon de pouvoir faire participer les autres dans un processus de décision lors même qu’on a au préalable sa propre idée. »
Mais un détail à ne pas négliger, cette femme, qui confie avoir été membre de l’association de femmes Kay Fanm, agit avec beaucoup de fermeté. « Je suis une personne qui sait dire non, mais qui explique toujours pourquoi elle le dit. Et c’est peut-être pourquoi le non est accepté. Je n’impose pas », précise-t-elle. Son père, Marc Narcisse, lui inculque très tôt le sens des responsabilités, le respect de la personne humaine. Avec un regard admiratif, elle parle de ces femmes qui sont membres de son parti. Elles ne sont pas forcément au-devant de la scène, mais « elles apportent un regard de femmes sur certains problèmes; ce sont des femmes solides qui voient les détails. Elles anticipent les conflits », confesse la militante.
Comment a-t-elle été choisie pour être candidate à la présidence ? Après une seconde de réflexion, elle explique : « Ce sont les différentes structures de l’organisation, les candidats, à différents niveaux, qui, avec l’approbation du président Aristide, ont fait choix de moi comme candidate à la présidence. Je ne savais pas qu’on allait faire choix de moi, je savais qu’on allait en discuter, mais je ne pensais pas qu’il y avait autant de détermination. Ils auraient pu faire autrement. »
De Lavalas, on ne pourra pas l’en éloigner. Certaine d’être du bon côté, du côté « du peuple, de la masse défavorisée », en dépit de tout, Maryse persite et signe : « C’est le choix à faire si on croit dans une société juste et équitable. » C’est elle qui le dit.