Maryse Pénette-Kédar parie sur l’éducation

Maryse Penette Kedar

Maryse Pénette-Kédar parie sur l’éducation

« Le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit. » Cette citation empruntée à Saint-François de Sales, son père la lui répétait très souvent. Maryse Pénette-Kédar en a été fortement influencée. Sans tambour ni trompette, cette bat- tante travaille pour améliorer le quotidien et l’avenir des futures générations. Un de ces prototypes de femmes qu’on voudrait dupliquer en plusieurs exemplaires.

Pour le bien-être du pays …

À Pétion-Ville, dans cette demeure familiale où elle a passé près d’un demi-siècle, Maryse Pénette-Kédar nous reçoit. Avec l’aisance de celle qui n’a rien à cacher ou la fierté d’une collectionneuse, elle nous fait visiter les différents bureaux des activités auxquelles elle se consacre.

Car MPK, comme je surprends ses employés à l’appeler, arbore de multiples chapeaux. Elle est consultante senior de la Royal Caribbean Cruise Line (RCCL), une compagnie maritime américano-norvégienne spécialisée dans les navires de croisière, présidente de la Société Labadie Nord (SOLANO), une filiale de la Royal Caribbean Cruise Line en Haïti et P.D.G. de la Fondation Progrès et Développement (ProDev), entre autres.

Du haut de ses soixante-deux ans, cette femme, véritable bourreau de travail, a toujours servi son pays, notamment au niveau de la diplo- matie haïtienne et de la fonction publique. « Je me suis intéressée à la politique très jeune », déclare-t-elle, tout en soulignant qu’elle n’a jamais été membre d’un parti politique. C’est ainsi qu’en 1982, on la retrouve comme attachée commerciale à l’ambassade d’Haïti à Washington. Trois ans plus tard, elle devient chargée d’affaires en Belgique. À ce poste, elle obtient l’une des plus grandes réalisations de sa carrière : l’adhésion d’Haïti à la quatrième Convention de Lomé le 15 décembre 1989.

Avec ardeur et dévotion, elle obtient l’entrée d’Haïti au groupe des États du continent africain, des régions de la Caraïbe et du Pacifique (ACP). Cela représentait une excellente opportunité pour Haïti, qui, dit- elle, « a toujours été un pays isolé dans le concert des nations ». C’est donc à bon droit qu’en avril 1990, la présidente Ertha Pascal Trouillot en personne lui écrit ces propos pour la féliciter : « Vous avez fait montre d’un dynamisme exemplaire dans la promotion de la candidature d’Haïti tant auprès des instances de la Communauté économique européenne qu’auprès du groupe ACP. » L’année même, elle fut promue ambassadeur près le royaume de Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.

Secrétaire d’État au Tourisme de 1995 à l’année 2000, on lui doit des initiatives louables telles que le premier Plan directeur du tourisme et le lancement du premier site Internet dédié à la promotion du tou- risme haïtien. Depuis 2000, elle fait office de consultante senior auprès de la Royal Caribbean Cruise Line et présidente de la Société Labadie Nord (SOLANO SA.). Sans compter que MPK a aussi été présidente de l’Association des industries d’Haïti en 2007 et l’un des membres fonda- teurs du Centre haïtien du leadership et de l’excellence (CHLE).

De belles distinctions ornent le palmarès de cette dame, dont la Grand-Croix de la République d’Haïti. Avec beaucoup d’humilité, elle parcourt ses victoires comme ses échecs, mais jamais elle ne s’est lais- sée aller au découragement. Car, dit-elle, « tout m’a été combat, comme disait Mitterrand. Ce n’est pas facile d’être une femme indépendante en Haïti ; ce qui est important, avant tout, c’est la façon dont tu abordes les embûches dans la vie. Alors, quand elles arrivent, au lieu de les laisser me déstabiliser, je les affronte et j’en tire des leçons. »

« Je suis une passionnée de l’éducation ! »

Que faire pour ce pays ? Cette petite question a aussi titillé cette femme d’action, pratique, déterminée et passionnée. En bonne patriote, ce sentiment d’être responsable, de devoir agir pour le bien de la nation, Madame Kédar l’a ressenti très tôt. Mais après le tremblement du 12 janvier 2010, elle a senti la nécessité de s’impliquer encore davantage. « Tout est arrivé faute d’éducation », dit-elle, se remémorant les dégâts de cette catastrophe et les comportements inappropriés de ses semblables dont la plupart étaient pris de court par ce séisme.

L’éducation. Cette cause lui tient tellement à cœur qu’on a du mal à l’amener à parler d’autres aspects de sa vie. « Nous savons tous que l’éducation est responsable de notre ascension sociale », explique celle qui est diplômée de l’Université interaméricaine à San Juan de Porto Rico, détentrice d’un baccalauréat en comptabilité, d’un second en espagnol et de certificats en politique internationale de l’Université libre de Bruxelles après avoir effectué son parcours scolaire en Haïti, à Sainte-Rose de Lima. « Mon père et moi nous avons connu des situa- tions difficiles, mais l’éducation nous a permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui », explique celle qui ne jure que par l’éducation.

Pour elle, c’est la solution à tous nos maux. Chaque enfant qui naît, donc chaque futur citoyen, doit y avoir accès. « C’est dommage que la nation n’ait pas priorisé ce domaine car c’est ce qui est à la base de tous nos maux. Haïti ne sait pas encore former ses citoyens ni quel modèle d’éducation leur inculquer. C’est aussi pour cela que nous ne savons pas construire ce pays sur une vision commune. Or, c’est l’essentiel. Nous de- vrions au moins nous entendre sur cela », déclare celle qui n’a pas peur de dire les quatre vérités et de toucher là où cela fait mal.

Cette passion, elle la tient de son paternel Max Pénette. Cet ancien élève de l’Institution Saint-Louis de Gonzague fut un éminent profes- seur de mathématiques. Ingénieur de formation, Max Pénette (94 ans) fut maire de Pétion-Ville durant la présidence de Jean-Claude Duvalier. Il avait fondé une école qui portait son nom et qui se comptait parmi les plus prestigieux collèges de Pétion-Ville.

En 1995, Max Pénette, Maryse Pénette et son mari, l’Israélien Daniel Kédar qui est photographe mettent sur pied la Fondation Progrès et Développement (ProDev) qui promeut une éducation de qualité pour tous et vise à autonomiser les jeunes d’Haïti, en particulier les enfants les plus vulnérables. Entre 2006 et 2009, elle crée l’école Emmaüs au Centre de réinsertion des mineurs en conflit avec la loi (CERMICOL) de Delmas 33. À cette époque, environ deux cents enfants y étaient. « Au fil de mes visites au CERMICOL, je me suis surprise à les regarder d’un autre œil. Je me disais qu’ils n’étaient pas foncièrement des criminels. Je m’inquiétais de ce qu’ils deviendraient une fois sortis. Je me suis dit qu’il fallait les aider. De concert avec le commissaire d’alors, l’inspecteur Colson Heurtelou, on a décidé de mettre sur pied ce centre d’apprentissage au sein duquel les enfants ont pu suivre les cours classiques et passer avec succès les examens officiels de la 6e année fondamentale. »

Au printemps 2010, la Prodev a aidé plus d’une dizaine d’écoles primaires et des jardins d’enfants de Port-au-Prince à se relever de la catastrophe et à se restructurer. Pour cette année académique, trois établissements scolaires que fréquentent plus d’un millier d’enfants font partie du réseau d’écoles de la fondation. L’École Nouvelle Royal Caribbean (Cap-Haïtien), l’Institution Mixte Union des Apôtres (Cité Soleil), sa première école indépendante, l’école Nouvelle Zoranje située non loin du centre-ville sur la frontière communale de Cité Soleil et de Croix-des-Bouquets ainsi qu’un centre communautaire dans Zoranje.

Pour pérenniser l’œuvre actuellement, Madame Kédar essaie de développer à la Prodev des manuels de procédure pour que les structures pédagogiques des écoles puissent être facilement duplicables. Mais elle persiste à croire qu’il faut un véritable plaidoyer pour l’éducation car « on ne peut pas aborder un tel chantier sans l’État ».

Mais, en dépit des problèmes de l’enseignement en Haïti, l’espoir ne vacille pas dans le cœur de MPK, la mère d’Ariel Dominique, sa fille qui va bientôt avoir 40 ans et qui vit aux États-Unis. Bonne conseillère, elle réfléchit beaucoup aux possibilités de changement. « Tout est possible. Je crois qu’il nous faut de véritables think tank pour relever le défi, une vraie volonté politique et des citoyens qui se sentent concernés et qui s’engagent », avance cette femme, qui dit clairement être plutôt une passionnée de l’éducation qu’une experte dans ce domaine.

Des modèles qui l’ont inspirée ? Un mentor qui l’a aidée à prendre la route ? Un grand soupir et quelques secondes de réflexion accueillent ces questions. « Je n’y ai jamais vraiment pensé », laisse-t-elle tomber. Elle a rencontré des gens extraordinaires chez qui elle a aimé un trait de caractère en particulier. Fidel Castro, Paul Kagame, etc. Mais l’éducation qu’elle a reçue dès l’enfance a été sa véritable boussole. « J’ai été élevée dans une famille avec un père très attentif qui nous communiquait l’amour des gens et le respect d’autrui. J’ai grandi avec des gens qui n’étaient pas arrogants, et qui savaient regarder autour d’eux », explique Madame Kédar, qui souhaiterait embrigader plus de volontaires pour le développement d’Haïti.

Méticuleuse, disciplinée, son amour du travail bien fait est exemplaire. Elle trime tard jusqu’à des heures tardives en soirée et même les jours fériés. Néanmoins, elle trouve le temps de travailler avec plu- sieurs groupes des jeunes et des femmes pour la plupart avec qui elle partage son expérience et sa vision d’Haïti. Très sociable, certains vont jusqu’à croire qu’elle tient chez elle un puissant salon. Mais là, modeste, elle avoue non sans sourire : « J’aime m’impliquer dans la vie de ma communauté. En conséquence, je rencontre beaucoup de gens, de tous les milieux, de toutes les couches sociales, et cela arrive qu’un certain nombre d’entre eux me fassent régulièrement l’honneur d’une visite.»

Au terme de cette conversation à bâtons rompus, cette grande dame, née le 12 août 1953, montre la voie à plusieurs dizaines de personnes. Sans le crier sur tous les toits, ce leader trace un sillon d’espoir pour plus d’un millier d’enfants défavorisés sur le principe de l’éducation de qualité pour tous. Déterminée, altruiste, l’intelligente Maryse Pénette-Kédar a fait de l’éducation son dernier combat. « Mais je n’ai pas envie d’être seule dans la lutte », confie-t-elle, car il faut beaucoup de citoyens pour arrêter la machine, réinventer Haïti et construire ce qu’on pourrait appeler le rêve haïtien.

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