Il faut pouvoir oser, inventer, bousculer les routines et se dépasser. Il faut prendre plaisir à vivre et ne pas se prendre trop au sérieux. Ces leçons de vie, cent fois Michèle les répétera à qui veut l’entendre. Cette femme d’affaires au regard pétillant a su saisir les opportunités qui s’of- fraient à elle et a trouvé sa voie. Il y a 20 ans, elle a monté sa propre agence de marketing, PDG Communications. En Haiti, sa réputation n’est plus à faire dans ce milieu.
Avec beaucoup de tendresse, Michèle évoque son enfance à Passe- Reine, 2eme section communale d’Ennery, dans le département de l’Artibonite. Ses parents partent tous les jours travailler aux Gonaïves. Elle et son frère sont gardés par trois paysans de la zone. Ils les suivent partout, se mêlant à leurs jeux et leur style de vie, se baignant dans la rivière, gambadant dans la campagne et dégustant les fruits qui se trouvent à portée de main. « Vrèman, yo te konn al nan vodou, nou ale tou. » C’est une période heureuse, insouciante dont elle se rappelle fort bien et qui a influencé sa façon de voir la vie.
Quand vint l’heure d’entrer au primaire vers six ans, ses parents l’envoient à Port-au-Prince pour ses études. Elle est reçue en pension à Sainte-Rose de Lima. Elle ne garde que de bons souvenirs de cette époque de sa vie où elle apprend à vivre en communauté, s’approprie des valeurs telles que la tolérance, le partage, le respect d’autrui, et développe le sens des responsabilités et de l’autonomie.
Au secondaire, ses parents la rejoignent à Port- au-Prince. La famille s’est agrandie, mais elle demeure la seule fille parmi les cinq enfants. Même si elle part vivre parmi les siens, elle est toujours en classe à Sainte-Rose de Lima. Gaie et vivace, elle pratique le volley-ball, participe aux activités théâtrales de son école et est porte-drapeau lors de la commémoration de la fête du drapeau le 18 mai.
En 1967, elle part terminer ses études secondaires au Sacred Heart Academy High School à Washington DC. L’année suivante, elle émigre au Canada et commence un cours technique de trois ans en biochimie au Collège Ashuntic. Mais ce choix n’est pas surprenant, car, à Port-au- Prince, sa mère tient la pharmacie Bayard à la rue Pavée, tandis que son père possède une fabrique de capillaires dont le shampooing et la pommade Rico, et fabrique sous licence les produits Kéranove. Elevée dans cette atmosphère, la voie semblait toute tracée.
Sitôt les études bouclées et après un stage, elle décroche un poste au laboratoire de l’Hôpital St-Michel de Montréal. Mariée en 1973, son premier fils naît en 1974, et le second en 1976. Il devient difficile de jon- gler avec les horaires de travail irréguliers du centre hospitalier et ses obligations d’épouse et de mère de famille. Elle s’en va chercher mieux.
Elle est embauchée par les Industries Christie, fabricant de produits alimentaires (les fameux biscuits oreo), où elle doit s’assurer de la qualité de la farine et autres ingrédients tous les matins. Convaincue qu’il ne faut guère s’appesantir sur son sort et se complaire dans les situations qui ne nous satisfont pas, elle décide d’abandonner ce poste chez Christie six mois plus tard. « Goûter la farine tous les matins, c’était vraiment… embêtant. Vraiment pas pour moi », laisse-t-elle tomber. Elle se croit destinée à mieux.
Après avoir erré quelque temps sans emploi, elle apprend par hasard que la ville de Montréal va procéder à l’ouverture de l’Expo Terre des Hommes et que le consulat haïtien a besoin de personnel pour son pavillon. Elle saute sur l’occasion et se propose d’en faire partie. Alors, elle est nommée commissaire adjoint du pavillon d’Haïti et s’occupe de la planification, la mise en œuvre et la gestion de l’exposition. Elle a la chance de travailler avec des artistes tels que Lionel Laurenceau, Bernard Séjourné pour le décor du pavillon. Cette équipe a mis particulièrement en relief le pavillon haïtien qui a eu à cette époque un très grand succès.
Ensuite, elle se fait transférer à l’ambassade d’Haïti à Ottawa. Elle collabore avec le grand ambassadeur Philippe Cantave, le doyen du corps diplomatique d’alors. Ce dernier, depuis 40 ans, n’avait aucun personnel et était réticent à en accepter. « Je n’avais pas le choix, je me suis dit que cela devrait marcher, que je ne pouvais pas me permettre de laisser tomber. Au bout du compte, cela a marché et on s’est bien entendu par la suite. » À ce poste, elle consolide sa réputation de bonne organisa- trice d’évènements. « À ce moment, Haïti avait une très forte présence au niveau de la diplomatie. L’ambassade d’Haïti et l’ambassadeur Cantave faisaient référence et les missions diplomatiques, surtout africaines, sollicitaient constamment les services et l’appui de l’ambassade. »
Mais elle se forme pour être digne de sa fonction. Elle s’inscrit en sciences politiques à l’Université d’Ottawa et obtient, en 1982, un diplôme d’études graduées en coopération internationale, et ensuite débute à l’Université du Québec à Hull un programme en gestion de projet. Mais elle n’ira pas jusqu’au bout. En 1984, elle revient au pays.
À ce moment, on la retrouve au sein de l’entreprise familiale Synthèses Industries. Un jour, sa belle-sœur Éliane Bayard, qui est proprié- taire de Publigestion, requiert ses services pour s’occuper du dossier d’un client très exigeant, la Shell, dirigée alors par Bernard Lefèvre. C’est ainsi qu’en tant que chargée de compte à Publigestion, elle organisera les huit éditions consécutives des fêtes de la Mer à Pestel lors de la St-Joseph, qui étaient devenues un rendez-vous populaire annuel. Elle travaille aussi dans l’organisation du fameux concours de musique American Airlines qui permit de découvrir la carrière musicale de plusieurs artistes et groupes haïtiens tels que Boukman Experyans, Emmeline Michel, Beethova Obas.
Au départ des Duvalier, à son retour en Haïti, elle milite aux côtés des femmes, surtout au sein du Parti Mouvement pour l’instauration de la démocratie en Haïti (MIDH) de Marc Bazin qu’elle a intégré. Elle a aussi milité au sein de l’Alliance nationale pour la démocratie et le progrès (ANDP) avec Marc Bazin, Serge Gilles et Déjean Bélizaire. Au milieu du MIDH, elle est en charge de la communication et sillonne tous les départements durant la campagne. En 2003 et 2005, elle monte la campagne de financement des manuels scolaires par le gouverne- ment d’alors.
Mais fatiguée de nos échecs constants, elle a fait un recul. « C’est facile de critiquer les partis politiques, mais en fait, les partis politiques, ce sont les citoyens. En Haïti, tu n’as pas droit à l’erreur, il faut toujours gagner. Dès que tu perds, ils s’en vont voir ailleurs, c’est pourquoi, pour blaguer, je les appelle les ‘‘au secours de la victoire’’ ; tu n’arrives pas à construire avec eux ! Toujours avec le même élan patriotique, elle fait re- marquer « qu’on a mal géré l’après-Duvalier parce qu’on s’est amusé à se venger et qu’on n’a pas travaillé pour et avec la population ». Mais au-delà de ce mea culpa, on sent chez elle l’espoir de voir le pays, où elle est née le 17 août 1950, sortir de l’abîme où il s’est précipité.
En 1994, elle se remarie avec Michel Géhy et, un an plus tard, dé- cide d’ouvrir PDG Communications, sa propre agence spécialisée dans les relations publiques, la production audiovisuelle et la publicité com- merciale. Sa belle-sœur Eliane, l’associé de cette dernière à Publiges- tion, Jacques Breham, ainsi que l’ambassadeur Cantave figurent parmi ses mentors. Des femmes comme Hilda Canez Auguste, Odette Roy Fombrum lui ont servi de modèles. Avec 20 ans à la tête de son entre- prise, elle a un peu percé le mystère de ce qu’il faut pour réussir. Son leadership ne peut être mis en doute.
En 2009, elle et son mari inaugurent « La colline enchantée », une auberge écotypique à Marigot. « J’aime travailler dans une ambiance très agréable. Je m’occupe de mes employés, c’est important pour moi », confie celle qu’on voit coordonner plusieurs activités d’envergure, dont la Carifesta cette année en Haïti. En 2014, elle a reçu le prix Michèle César Jumelle de la femme d’affaires décerné par la SOFIHDES.
Les événements dans sa vie s’enchaînent comme les perles d’un même collier. « Toutes les occasions dans la vie arrivent pour une raison bien définie. Et si nous savons les saisir quand il le faut, nous serons étonnés de voir jusqu’où elles peuvent nous emmener », conclut Madame Géhy, philosophe.
Celle qui est peintre aussi atteste qu’une bonne formation, la détermination et la ténacité sont des ingrédients intéressants pour réussir. « Je ne me décourage pas facilement. Il faut être discipliné, honnête, res- pecter les autres et la vie en général. » Elle lit beaucoup et a le temps de s’adonner au jardinage, l’une de ses activités de prédilection. La femme d’affaires se plaît aussi à partager avec les plus jeunes et à leur commu- niquer des leçons de vie.
Plusieurs de ceux qui la connaissent admettent que Michèle est une bonne personne, une femme fascinante, empathique, joviale, mais sur- tout surprenante. Une passionnée qui sait prendre goût aux joies de la vie. Très enjouée, son humour est palpable. « J’aime m’amuser. J’aime rire, j’aime danser », annonce-t-elle gaiement, les yeux marron brillants de malice, toujours convaincue qu’il ne faut pas se perdre la tête avec des histoires futiles ni de s’embarrasser avec des biens matériels qui ne sont que passagers. L’important, pour elle, c’est de vivre pleinement et joyeusement, intensément.