Rares sont ceux et celles qui choisissent délibérément, et de manière désintéressée, de s’impliquer en vue de changer leur communauté. Beaucoup voient les problèmes, mais très peu font partie de la solution. À Camp-Perrin où elle s’est établie depuis plus de trente ans, Monique Pierre Finnigan, membre fondatrice de l’Organisation pour la réhabilitation de l’environnement (ORE), est l’une des femmes qui ont préféré faire partie de la solution en s’engageant pour le bien-être de cette commune qui l’a adoptée.
À Camp-Perrin, ce samedi-là, le Comité interministériel d’aménage- ment du territoire (CIAT) doit remettre à leurs propriétaires des procès-verbaux d’arpentage réalisés dans le cadre d’un projet pilote pour établir le cadastre de la zone. Sous une tente, paysans, membres de l’administration publique, ambassadeurs et experts sont réunis. Par- mi les propriétaires, figure Monique Pierre Finnigan, connue aussi sous le nom de Dr Mousson.
Depuis plus de 25 ans, cette dame a choisi d’agir en vue de protéger l’environnement à Camp-Perrin. Son histoire et son sens de l’engage- ment rappellent un peu le fameux roman Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain. Pour Valéry Numa, journaliste et homme d’affaires né à Camp-Perrin, Monique « est une femme très courageuse, dynamique,patiente. Une femme de mérite, qui a porté un projet, y a cru et a tenu bon en dépit des vicissitudes de la vie. Parce que cela n’a pas toujours été évident de voir l’avenir poindre à l’horizon ».
Visage souriant, cheveux gris retenus dans une tresse couronne, elle transpire calme, sagesse et intelligence. Contrairement à ce que croient certains, Monique n’est pas originaire de Camp-Perrin. Mais de Port-au-Prince. Après ses études primaires à Port-au-Prince, elle est partie en France et a vécu là-bas pendant environ douze ans. Après cela, elle a choisi de revenir au pays pour entamer ses études universi- taires à la Faculté de médecine de l’Université d’État d’Haïti. « J’ai fait l’inverse de ce que les gens font en général. Epòk pou m ta pati pou m al etidye lòtbò, se lè sa a m chwazi retounen an Ayiti mwen menm », expose celle qui obtint son diplôme de médecin en 1975.
Éprise de tourisme, Monique ne ratait jamais une occasion de visi- ter une ville du pays. « À mon retour de France, je n’avais qu’une seule envie : connaître les villes de province. Parce qu’avant mon départ, ma famille partait toujours passer les trois mois de vacances d’été quelque part. Pour moi, Haïti c’était les provinces. J’avais envie d’aller les découvrir. Je voulais aller dans tous les endroits que je ne connaissais pas encore », raconte-t-elle avec enthousiasme.
Cet amour pour les voyages la conduit dans divers endroits du pays, notamment dans le Sud qu’elle visite dans les années 72-73. « À ce mo- ment, c’était l’un des endroits les plus difficiles d’accès. Les routes étaient souvent coupées. C’était environ douze heures de trajet. On ne pouvait jamais y arriver parce qu’il y avait toujours un inconvénient. » Elle se rappelle fort bien l’émotion ressentie la première fois qu’elle a foulé le sol camperrinois. « C’était une merveille. Dès cet instant, je me suis dit: ‘‘J’aime la zone. Je suis arrivée chez moi’’. J’ai été attirée par la végétation et par le fait qu’il y avait beaucoup d’eau. »
Chose dite, chose faite. Monique et son mari s’établissent à Camp- Perrin en 1978. Elle continue à exercer ses activités de médecin en travaillant dans un centre de santé de cette localité.
S’engager pour le bien-être de la communauté
Quand le couple s’installe à Camp-Perrin, rien ne laisse présager qu’il y avait ou pouvait y avoir un problème relatif à l’eau ou au déboisement. Mais, un jour, un volontaire qui travaillait au sein d’une associa- tion allemande évoluant dans le domaine de l’environnement leur fait une confidence. « Si vous ne faites rien, dans dix ans, il risque de ne plus avoir d’eau au niveau de la plaine, donc plus d’agriculture non plus. » Ils visitent le parc Macaya et d’autres sites et en sortent conscients que le danger est bien réel.
Amoureux fous de la zone, c’est un risque qu’ils ne sont pas prêts à courir. Il faut donc tout faire pour empêcher cela, se disent-ils. « Nous n’avions rien à voir avec l’agriculture ni avec l’environnement. J’étais mé- decin, mon mari photographe. Ce n’était visiblement pas notre vocation, mais on était motivés à tout faire pour empêcher que cette tragédie n’arrive à la zone. Nous aimions tellement cet endroit ! », précise-t-elle, l’air sin- cère et convaincue d’avoir pris la bonne décision. Ainsi, en 1985, Mo- nique fonde l’association Organisation pour la réhabilitation de l’envi- ronnement (ORE). Une association qui sera reconnue comme une ONG de développement en 1989.
De manière concrète, elle n’a jamais cessé de multiplier les actions pour diminuer la coupe des arbres, et surtout en augmenter le nombre. Dans le souci d’obtenir des résultats, ORE a développé des stratégies visant à accompagner les paysans, les agriculteurs pour que ces der- niers puissent produire mieux et plus. Outre les semences améliorées, avec cette organisation, l’accent a été mis sur la plantation d’arbres frui- tiers variés. « Car le paysan ne coupe pas un arbre parce qu’il est méchant, mais parce qu’il a besoin d’argent. S’il y trouvait un intérêt, s’il pouvait vendre sa récolte, il n’aurait aucune envie de couper l’arbre », raisonne-t- elle.
Certains ne croyaient nullement en cette stratégie. « Au départ, les gens nous ont dit de ne pas nous en mêler parce que cela ne marcherait pas, que personne ne serait intéressé », se souvient Mme Finnigan, qui ne pro- fesse plus comme médecin depuis un certain temps et qui se consacre aux activités d’ORE. Mais, les résultats parlent d’eux-mêmes. « ORE est reconnue dans toute la zone, même dans les endroits les plus reculés. Si beaucoup de jeunes peuvent faire un bouturage ou un greffage ici, c’est grâce aux formations qu’ils ont pu suivre avec l’organisation. L’impact d’ORE est réel. Il y a des fruits tels que la carambole que l’on ne trouve que dans le Sud, ceci grâce à leur travail », relate Valéry Daudier, journaliste et secrétaire de rédaction adjoint du Nouvelliste, originaire de la zone.
« ORE a aussi joué un rôle dans l’accélération de la production de mangues Francisque, qui sont aujourd’hui destinées à l’exportation et la vente au niveau du département du Sud », a confié humblement Monique. Les mots de Valéry Numa viennent témoigner de l’utilité de l’associa- tion de Mme Finnigan pour la région. « ORE fait un travail extraordi- naire, notamment par le fait que leurs membres ont pu participer à la mise en terre de pas mal de plantules, investissent dans la transformation des fruits, etc. Avec leur projet de greffage de manguiers, on peut trouver à Camp-Perrin plusieurs variétés de mangues. Un projet louable, qui a été très apprécié par les gens de la zone. ».
« Les obstacles sont nombreux. Outre le manque de fonds, il y a aussi le non-respect de certaines lois liées à l’environnement à cause de la fai- blesse de l’État qui entrave leurs réalisations. Mais, loin de se décourager, Monique continue à travailler avec la même fougue. « C’était un enga- gement personnel. Un engagement à long terme. Nous avons commencé; il y a encore de nouveaux défis à relever. Notre place est ici », explique Monique, qui, sans relâche s’investit dans la protection de l’environne- ment et la promotion de microentreprises à travers ORE, l’organisation qu’elle a fondée.