La profession de sage-femme figure parmi les plus vielles du monde. Pilier incontestable de la santé reproductive, la sage-femme est pourtant, quasiment méconnue du système de santé haïtien, et du grand public en dépit des efforts pour donner à la profes- sion ses lettres de noblesse. Très peu de professionnels choi- sissent d’exercer de manière libérale et autonome ce métier qui pourrait contribuer grandement à diminuer le fort taux de complications liées aux grossesses et à l’accou- chement dans le pays. Celles qui choisissent d’exercer et de suivre cette voie doivent se battre pour trouver leur place. Un défi que Vavita Santos Leblanc, dès son retour en Haïti, n’a pas hésité à embrasser. Elle est sage-femme et fière de l’être.
Sa voix sonne comme une berceuse. Naturelle, doucereuse, sereine. Elle est aussi simple que le décor de cette salle de la clinique de la rue Borno – vraisemblablement la salle de consultation- dans laquelle elle me reçoit. On envie le calme et la paix qui semblent régner dans ces lieux. Pour peu, on aurait envie de faire une petite méditation. Sur un pan de mur, un encadrement avec les photos de plusieurs enfants. Sûrement les poupons de ces femmes qu’elle a accouchées ou le fruit des grossesses qu’elle a suivies. Car, sage-femme, Vavita réalise entre
trois et cinq accouchements tous les mois.
Voilà dix ans qu’elle exerce cette profession au terme d’un mas- ter en maïeutique effectué en France à l’Université Paris VI Pierre et Marie Curie. Pourquoi ? « Parce que c’est un métier qui me définit non seulement en tant que professionnelle, mais aussi dans ma personnalité, dans mes convictions et dans ma vision de la vie. La sage-femme est un professionnel qui a un vrai respect de l’humanité, un respect pour le pro- cessus naturel des choses. Un respect de l’autre, de son histoire, de son vécu. Dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui, où les choses sont parfois très artificielles, très automatisées, très manipulées, ma profession me permet de retourner aux fondamentaux de la vie », explique Vavita qui a ouvert sa clinique en Haïti depuis 2014.
Le fait qu’elle a choisi de faire cette carrière tient d’une histoire très intime. Mais elle la raconte volontiers. « Ma mère a perdu un fils. Une mort fœtale qui m’a beaucoup touchée, bouleversée bien que je n’avais que trois ans. Quand j’ai grandi et que mes parents m’ont expliqué, je me suis dit que j’avais envie d’être près des mamans lorsqu’elles accouchent, de les accompagner dans la souffrance de donner la vie, ou justement dans la souffrance de ne pas pouvoir donner la vie. Je voulais être près des femmes pour toutes les étapes qu’elles traverseraient dans leur vie. C’est peut-être ma fibre féministe qui commençait déjà à travailler. » Pourquoi pas gynécologue, alors? « Parce que le rapport entre la patiente et ces deux professionnels n’est pas du tout le même. »
Dans l’accompagnement qu’elle fournit à ses patientes ou aux couples qu’elle suit, elle replace le naturel au centre de toutes ses in- terventions, n’utilisant la pharmacopée conventionnelle ou occidentale qu’au besoin. « Je trouve que c’est une bonne chose, notamment en Haïti où parfois on a l’impression que le développement veut dire copie conforme de l’étranger, de ce qui se fait dans les pays développés. Mais, moi, j’ai un autre avis sur la question. » Et tout au long de cette entrevue elle nous en parlera.
Son amour pour sa profession est contagieux. Elle dessine passionnément les multiples contours de son travail. Elle nous apprend qu’elle fait un suivi global et holistique des grossesses, de la préparation à la naissance et à la parentalité, de l’aquagym, du yoga prénatal et post- natal, des accouchements sur plateau technique, de la rééducation du périnée, un peu de sexologie, de psychologie. « Je fais du suivi et de l’accompagnement pour des couples qui sont en processus de procréation médicalement assistée, des couples qui ont connu des deuils, des morts fœtales ou qui ont un désir de grossesse. Il y a plein de choses dans le corps d’une femme ou dans sa vie qui peuvent être un obstacle pour que son corps puisse recevoir une grossesse. Une relation difficile avec sa mère, des problèmes de couple, une vie professionnelle trop stressante », détaille celle qui est aussi consultante en lactation.
Pour le moment, très peu de femmes en Haïti exercent, de manière libérale, le métier de sage-femme. Un métier à ne pas confondre avec celui de matrone, bien entendu, qui est souvent une accoucheuses tra- ditionnelle parfois sans instruction. « La profession est confrontée aussi aux problèmes qu’il y a dans l’accès aux soins de santé de qualité en Haïti. Les professionnelles qui sont bien formées ne sont pas bien payées et tous les médecins n’ont pas encore compris l’importance de notre travail. La société non plus. Quand je suis arrivée en Haïti, je me suis dit, c’est compliqué, la profession de sage-femme n’existe pas en Haïti dans son indépendance, dans son autonomie. Je me disais peut-être que je vais rester au chômage. Puis, finalement, j’ai rencontré un gynécologue, le docteur Didier Armand, qui avait compris comment on pouvait améliorer la qua- lité de la prise en charge des patientes en couplant les deux professionnels pour avoir déjà travaillé avec Ghislaine Francoeur, ancienne directrice de l’ancienne école de sages-femmes en Haïti. On s’est rencontrés et il m’a dit, on va travailler ensemble. Il m’envoyait ses patients pour les préparer à l’accouchement. C’est ainsi que ma clientèle a commencé. » « Aujourd’hui, j’ai une patientèle qui est intéressante en termes de volume. Le seul regret que j’ai est que celle-ci provient d’une certaine couche de la population qui est plus ou moins favorisée. Pour la simple raison qu’il y a un coût inhérent aux soins de santé. Cela n’empêche que je suive de temps en temps des couples gratuitement, parce que je suis profondément convaincue que toute femme a besoin d’une sage-femme, et parce que c’est aussi une question d’humanité. Dès que l’opportunité se présente, je le fais. »
Membre de l’Association des infirmières sages-femmes haïtiennes, elle fournit actuellement un appui pédagogique à l’Institut national supérieur de formation de sages-femmes pour le développement de la profession. « Mon vœu est de développer toujours en travaillant avec le ministère de la Santé Publique la pratique indépendante de la profession de sages-femmes afin que toute la population puisse avoir accès aux soins. Si la profession décolle en Haïti, cela va provoquer une grande transformation en faveur des femmes. »
Contrairement à ce que son apparence laisse à penser, Vavita n’est pas née en Haïti. « Je suis un peu citoyenne du monde. Je suis née au Congo, mon papa est portugais, ma maman vient de l’Angola. J’ai grandi au Congo jusqu’à l’âge de neuf ans, j’ai passé deux petites années au Portugal, et j’ai été vivre en France. C’est là que j’ai fait toutes mes études » confie-t-elle avec une gaité presqu’enfantine. C’est sa rencontre et son mariage avec un Haïtien qui l’amène en Haïti. « Haïti m’a adopté » s’écrit la femme qui vit au pays depuis environ cinq ans.
Mère de deux fillettes -de cinq ans et de trois ans-, elle aime bien vivre allègrement sa vie. « J’ai une vie spirituelle assez-riche », confie aussi cette chrétienne protestante. Tous les dimanches, elle participe au culte de son église. « Je vais à Delmas 75 à l’église Le Village au Collège Excelsior. Au-delà de ma profession, ma vie religieuse me définit aussi. Cela me permet d’avoir un regard plus respectueux envers les autres. J’aime beaucoup chanter. En France, je faisais partie d’une grande chorale. Mais depuis que j’ai des enfants, … je prends des cours de guitare. Cela ne veut pas dire que je suis une grande musicienne, mais mon oreille est sensible à de la bonne musique », S’exprimant couramment en français, en anglais, en portugais et en créole, Madame adore lire. « J’ai beaucoup d’admiration pour Mimi Barthélémy, j’aime cette sensibilité qu’elle a dans ses contes. Je les lis souvent à mes enfants. J’aime les auteurs qui écrivent sur les femmes, l’identité féminine dans le christianisme, sur l’amitié et le leadership des femmes. Mais mon mentor, c’est Jésus-Christ », clame haut et fort Vavita Santos Leblanc née un 18 novembre.
Le Nouvelliste | Publié le 1er juillet 2016